Le western à la Tarantino, sauce canadienne DeWitt
Du temps de la ruée vers l’or, les frères Sisters, tueurs à gage de leur état, sont envoyés à San Francisco par leur employeur, le «Commodore», pour éliminer, pour des raisons obscures, un homme répondant au nom curieux de Herman Kermit Warm.
D’ailleurs, tout est curieux dans ce livre publié en 2011, et traduit de l’américain par Emmanuelle et Philippe Aronson pour les éditions Actes Sud en 2012, après les brillantes variations éthyliques de son précédent livre, «Ablutions». «The Sisters’ Brothers», titre original de ce deuxième roman de l’écrivain canadien Patrick de Witt, indique d’emblée la tonalité burlesque du récit et, de fait, le tandem de tueurs, bien que redoutés et efficaces, ressemble à un duo d’excentriques pieds nickelés.
Leur périple est très éloigné de l’image d’Hollywood de la chevauchée de deux tueurs professionnels, le narrateur, le cadet des deux, Eli, étant un homme grassouillet, dépourvu d’états d’âme quand il s’agit de tuer mais enclin au questionnement métaphysique, un incurable cœur d’artichaut qui ne comprend rien aux femmes et pas grand-chose aux relations humaines en général, un homme qui, malgré ses rêves récurrents d’ouvrir un petit commerce est devenu assassin pour rester aux côtés de son frère Charlie, archétype de la brute épaisse mais qui a toujours protégé son frère cadet.
Autant j’aspirais à la vie tranquille de commerçant, autant Charlie souhaitait continuer à vivre entre passions et violence perpétuelles mais sans plus s’engager personnellement, donnant ses instructions à l’abri d’un rideau de sbires bien armés tandis qu’il se prélasserait dans des chambres au doux parfum où des femmes bien en chair lui verseraient à boire et ramperaient par terre pareilles à d’hystériques nourrissons, le derrière à l’air, frissonnantes de rires, d’eau-de-vie, et de fourberies.
Au long de la chevauchée, où l’on croise surtout des tueurs, des putains, des ours, des chevaux de retour et des chercheurs d’or en perdition, les scènes ou les détails incongrus surgissent sans cesse, scènes de brossage de dents ou dialogues étrangement comiques entre deux coups de feu.
Assis devant la cuvette, je sortis ma brosse à dents et ma poudre et Charlie, qui n’avait pas vu mon attirail jusqu’alors, me demanda ce que je fabriquais. Je lui expliquai, et lui fit une démonstration, après quoi j’inspirai profondément : «C’est très rafraîchissant pour la bouche», lui dis-je.
Charlie réfléchit. «Je n’aime pas ça, rétorqua-t-il. Je trouve ça idiot.
– Pense ce que tu veux. Notre docteur Watts m’a dit que mes dents ne se gâteront jamais si j’utilise cette brosse comme il faut.»
Charlie demeura sceptique. Il me dit que j’avais l’air d’une bête enragée avec ma bouche pleine de mousse. Je répliquai que je préférais avoir l’air d’une bête enragée quelques minutes par jour plutôt que d’avoir une haleine fétide toute ma vie, ce qui marqua la fin de notre conversation sur la brosse à dents.
Lecture jubilatoire, «The Sisters’ brothers» a tout du roman culte, western à l’humour décalé qui rappelle celui des films de Quentin Tarantino ou des frères Coen, sombre épopée aux accents de Cormac McCarthy, roman picaresque excentrique et hybride qui se penche avec mélancolie sur la relation de ces frères qui s’aiment comme deux sœurs.
«- Une sacrée équipe que vous avez là, Warm.»
Il répondit avec gravité, «Plutôt louche, non ? Un dandy et deux assassins.»
Je me mis à rire, et Warm me demanda ce que je trouvais drôle. «Vous et vos jambes et vos mains violettes. Morris et mon frère, et les hommes entassés dans le feu. Mon cheval mort au pied d’une colline.»
Warm apprécia mes propos, et se tourna vers moi, rayonnant : «Il y a du poète en vous, Eli»
Ce qu’en dit mon amie et collègue Charybde 1 est ici.