Les jours aveugles après la mort du fils
Le portrait lumineux d’un fils décédé, par-delà le naufrage du deuil.
Comment dire l’obscurité, la pétrification du réel que représente la perte d’un fils ? Simplement fiévreux, Fabius, le fils du narrateur d’«Adieu sans fin» est décédé pendant son sommeil à l’âge de seize ans, au début d’un hiver rigoureux, un hiver saturé de neige et de nuit pour son père.
«Ce furent des jours sans lumière. La maison sombre était tout ce qui restait au monde. Dans cette demeure évoluaient des êtres que je connaissais de longue date, des proches, des amis, et pourtant j’étais seul avec le gouffre noir au fond de moi. Le pire, c’était quand il me fallait dormir. Le sommeil est un assassin. Le sommeil m’a volé mon fils. Le sommeil est un poison qui s’instille sans un bruit dans mes veines. Je me cabrais contre lui, mais j’étais à bout de forces, l’épuisement avait raison de moi et m’entraînait dans les chambres obscures. Je plongeais dans les eaux d’effroi, je me réveillais en sursaut, je criais. Il n’y avait pas de refuge, il n’y avait pas d’issue. L’épouvante était partout, elle s’insinuait dans mes veines, elle attendait patiemment que la fatigue me terrasse. Alors je lui étais livré tout entier.»
Dans ce court récit paru en 2012, premier texte de l’auteur traduit en français par Olivier Le Lay pour les éditions Verdier (à paraître le 2 février 2017), l’écrivain autrichien Wolfgang Hermann réussit à dire l’impensable, sobrement et sans pathos, lorsque le monde tout à coup se vide de tout sens et de tout espoir avec l’irreprésentable, lorsqu’on est soi-même avec tout le réel devenu matière morte face au deuil d’un enfant.
«Ce furent des jours sans lumière. L’air n’était pas de l’air, il n’y avait pas un souffle qui put remuer la pierre gelée en moi. La lumière était un simple voile jeté sur les choses et qui étouffait tout ce qui se mouvait encore. Un silence qui étouffait au plus profond le moindre mouvement, le plus petit pas dans le vestibule.»
Après le décès de sa fille adolescente, Charlie, le personnage central du roman de Paul Harding, «Enon», se laissait tomber dans l’abîme du chagrin, afin de s’approcher au plus près de la frontière des ténèbres, entouré des fantômes de sa fille et de tous les disparus qui peuplaient sa mémoire, composant une mosaïque de souvenirs et d’hallucinations d’une beauté paradoxale.
Face à l’irréparable, le narrateur d’«Adieu sans fin» plonge lui aussi dans les chemins inévitables et fragmentaires de la mémoire, se remémore par flashbacks successifs le regard de son fils à la naissance, semblant surgir de la profondeur du monde et être doué d’un étonnement plus ancien que celui-ci. Il se souvient de l’échec de sa relation trop éphémère avec sa femme Anna, apogée amoureuse de son existence, des randonnées nocturnes en montagne avec Fabius, sous un ciel constellé où les étoiles filantes semblaient tomber tout droit dans leurs bras déployés, scellant la profondeur de l’amour entre père et fils.
«Ce couple, c’était Fabius et moi. Quand le monde était encore debout. Combien de nuits n’aurons-nous pas passées là-haut. La forêt tournoyait en nous. Le clair de lune scintillait sur la neige. A la lune nouvelle, au-dessus de nos têtes, le dôme de la voie lactée. Je lui décrivais les quelques constellations que je connaissais. Nous restions là bouche bée, la tête redressée. Nous gravissions le sentier de montagne, j’entends encore le crissement de nos pas sur la neige tôlée.»
Malgré l’interminable tunnel d’images angoissantes qui l’assaillent, malgré la crise cardiaque qui le rapproche du cher disparu, le corps de ce père s’entête à continuer à vivre, soutenu par la tendresse d’Anna, la mère de Fabius. Évoquant la visite de ses amis collégiens venus voir sa chambre, les rencontres avec sa petite amie Julia et les souvenirs anciens, la voix du père compose un récit pour son fils, le portrait lumineux et doux d’un père au-delà des ténèbres de l’absence.
Wolfgang Hermann - Adieu sans fin - éditions Verdier
Coup de cœur de Charybde2
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