Sons d'Hiver célèbre un siècle de jazz en France
Depuis qu'à Brest, le 27 décembre 1917, lorsque se firent soudainement entendre les élucubrations et autres réflexions mélodiques, harmoniques et rythmiques de la fanfare militaire du 369e régiment d'infanterie, rien ne fut plus jamais pareil. L’orchestre, placé sous la direction du bien nommé James Reese Europe, ne comptait que des soldats « noirs », comme son régiment, l’armée nord-américaine pratiquant encore la ségrégation raciale. Et, c'est le rhizome que cela a engendré que l'on célèbre avec cette 26e édition.
En effet, entre le début du XXe siècle et la fin des années 1960, l’essaimage de la population afro-américaine par vagues et courants successifs, depuis le Deep South jusqu’aux territoires et villes du Midwest, jusqu’à la Côte Est et à l’Europe, jusqu’à la Côte Ouest et au Japon, a fourni l’essentiel des musiques populaires (et savantes) dans es temps modernes. Voire les premières « musiques du monde », avant que l’industrie culturelle ne s’empare de l’expression. En 2017, l’aventure continue.
-> Empêchement de dernière minute, Chocolate Genius remplace Coco Mamas le 4/02/17 à Créteil.
Ernest Dawkins, saxophoniste compositeur de Chicago, membre de l’AACM, retournera aux sources de cette impulsion nouvelle par un hommage à James Reese Europe avec son projet Propaganda Nabaggala "1917" dans une conception résolument moderne inspirée de la Great Black Music associant instruments acoustiques, électro et hip-hop, vidéo. Deux autres soirées évoqueront ce moment de la rencontre du jazz et de la France. La première, consacrée à Django Reinhardt (avec Angelo Debarre et l'Organ trio de James Carter), la seconde à Sidney Bechet (avec Matt Wilson et Archie Shepp, musicien légendaire de l’épopée du jazz, pour qui Bechet est une référence essentielle).
En écho à ces soirées spéciales répondront des choix à l’écoute d’une musique plurielle vivante et actuelle qui, sans tapage, mais avec assurance, exprime un vif désir de liberté, d’expression artistique renouvelée.
Jaimeo Brown et sa « Transcendence », Aron Ottignon, le Magnetic Ensemble écriront le récit sonique d’une alliance inventive du jazz, de l’impro et de l’électronique en tourneries contemporaines. Émile Parisien (en compagnie de Joachim Kühn, Michel Portal), d’une part, et James Brandon Lewis, d’autre part, nous montreront que la lignée des géants du saxophone n’est pas prête de s’éteindre. Le quartet du batteur Nasheet Waits est l’exemple même de ce renouvellement des tendances les plus profondes de la musique issue du jazz et de ses rythmes telluriques. Alors que Benjamin Moussay/Claudia Solal, "MoOvies"de Médéric Collignon,"Spring Roll" de Sylvaine Hélary, "The Bridge", le Régis Huby Quartet, le "New Sanctuary" de Dave Douglas, explorent chacun à leur manière, une poétique inédite, bien qu’ancrée dans une histoire séculaire. Tous ces musiciens devenus inclassables pour les entomologistes de la musique comme le "Sun of Goldfinger" de David Torn.
Une histoire séculaire certes, mais en marche, solidement campée sur ses deux jambes. L’une, qui est celle des musiques populaires afro-américaines offrant la force mystérieuse du creuset des transmissions orales. Soul avec Martha High et Chocolate Genius, blues avec la création "Cross Border Blues" d’Harrison Kennedy et le mythique James "Blood" Ulmer et son Memphis Blood Blues Band. Musiques populaires qui élargissent leurs champs par le Voodoo Jazz trio de Jacques Schwarz Bart, les investigations hip-hop de Charles X ou du "Kit de Survie" de Serge Teyssot-Gay.
L’autre qui est l’apport indispensable du sujet créatif, de son individualité non conformiste à cette histoire culturelle commune. Les géants que sont Roscoe Mitchell et son "Tribute to John Coltrane" ou Wadada Leo Smith et son duo avec Vijay Iyer, le solo piano d’Amina Claudine Myers et de Craig Taborn symbolisent parfaitement cela.
Amiri Baraka écrivait dans Le peuple du blues, « La musique est le fruit de la pensée... transformée en attitude ou état d’esprit». Ce souffle continu est celui des musiques à vivre, leur « Freedom Now!» refusant le contrôle social des musiques à vendre.
Une fois cette mise en relation - écrite as usual de la main du directeur du festival, Fabien Barontini - , notre sélection (sur laquelle on reviendra au fil des dates) est du côté de la soirée d'ouverture avec Nasheet Waits et Ernest Dawkins pour une nouvelle manière de prolonger le son/l'histoire du jazz avec le premier, tandis que le second offre une traversée, genre grand écart, de toutes les possibilités instrumentales qu'il offre, du simple cuivre aux platines et ordinateurs. C'est du bon, dans l'idée de ce festival qui mets toujours le paquet sur ses soirées d'ouvertures avec un bonheur renouvelé …
Pour l'Autre Quotidien, on va se diriger vers les concerts suivants, c'est notre conseil. Mardi 17/01, prochain à Arcueil : double affiche pour les petits budgets, c'est aussi habituel que plaisant… Sylvaine Hélary Spring Roll et Daniel Weiss "Big Apple's Flavor"+ Wadada Leo Smith et Viojay Iyer "A Cosmic Rhythm with Each Stroke", le 20/01 à Villejuif, Angelo Debarre Gipsy Unity Quintet avec Marius Apostol et le James Carter Organ Trio pour "Django Unchained", le 22/01 au Musée Branly, le Voodoo Jazz Trio de Jacques Schwarz-Bart, le 27/01 à Alfortville Aron Ottignon Trio et Roscoe Mitchell Sextet "Tribute to John Coltrane", le 29/01 à Cachan James Brandon Lewis Trio et Emile Parisien Quintet avec Joachim Khün et Michel Portal. Les3 et 4/02 à Créteil, soirée Bechet avec Matt Wilson Quartet et Catherine Delaunay pour "Vol pour Sidney ( retour)", puis Archie Shepp plays Sidney Bechet. Le lendemain, Chocolate Genius, Martha High & The Royal Italian Family et l'attendu James Blood Ulmer avec son Memphis Blood Blues Band, ft Vernon Reid. Ces quelques indications au coin de l'œil, les infos sont là sur le site - et pour une fois, l'affiche est moche… on s'en passera !
Jean-Pierre Simard
Sons d'Hiver 2017, toutes infos utiles : ici