L'AUTRE QUOTIDIEN

View Original

La poésie, dos au mur : les «Haïkus de prison» de Lutz Bassmann

Laissons parler Antoine Volodine de cette autre voix du post-exotisme qu’est Lutz Bassmann, évoquée dans « Le post-exotisme en dix leçons, leçon onze » (Éditions Gallimard, 1998) 

" Les derniers jours, Lutz Bassmann les passa comme nous tous, entre la vie et la mort. Une odeur de pourri stagnait dans la cellule, qui ne venait pas de son occupant, encore que celui-ci fut à l’article de et se négligeât, mais du dehors […] Bassmann, lui n’attendait rien. Il s’asseyait en face de nos visages abîmés et il les regardait. Il contemplait les photographies mal lisibles, spongieuses, les portraits obsolètes de ses amis hommes et femmes, tous défunts, et il se remémorait on ne sait de quoi de trouble et, en même temps, de merveilleusement scintillant, qu’il avait vécu en leur compagnie."

Incarcéré, au bord de l’extinction, Lutz Bassmann prend la parole avec ce livre paru en 2008 aux éditions Verdier, en même temps que «Avec les moines soldats». Les «Haïkus de prison» disent la prison, la déportation et l’enfer des camps, dans un chant lancinant de 489 haïkus, qui tend vers l’hiver et la noirceur absolue.

Voix des dominés, des minoritaires, de ceux qui sont aux marges, ce sont les récits des Tadjiks, du Mandchou, du boucher moldave, du boxeur fou ou du bonze, de tous ceux qui tentent de survivre dans le chaos de l’enfermement, de raccommoder ensemble des morceaux de vie au milieu des suicides et des meurtres, de tous ceux qui succombent.

Quelle est cette prison ? Où sont-ils et pourquoi ? Après quelles défaites ? Cela restera obscur. Certains tentent en prison de reconstituer une organisation pour résister mais elle est vouée à la défaite dès le premier haïku.

« L’organisation s’est constituée
on attend que les chefs surgissent
pour les haïr »

Malgré la puanteur de la cellule, la barbarie de l’enfermement, de la déportation et du camp, une poésie visionnaire et un humour étonnamment juste se dégagent de ces vers hallucinés, de ces lambeaux de vie qui se désagrègent, de cette parole, dos au mur, qui tend vers l’évanouissement.

« Personne ne s’est inscrit pour la chorale
l’animateur
est anthropophage »

« L’araignée a changé de cellule
le Kirghize lui mangeait
toutes ses mouches »

« Le vétéran parle de l’été
j’ai du mal à me rappeler
de quoi il s’agit »

Le haïku dit l’évanescence des choses, ces haïkus de prison celle de l’espèce humaine.

Haïkus de prison de Lutz Bassmann, éditions Verdier
Charybde7
L'acheter ici