Nous n'irons pas à Rio (avec les autres) : "Théorie de Rio de Janeiro"
Portrait poétique et amoureux de Rio de Janeiro, aux antipodes du tourisme de masse.
Pourquoi l’impression, qui remontait à son premier voyage au Brésil, s’obstinait-elle en lui de connaître cette ville depuis toujours ?
Familier du Brésil, sujet de trois de ses précédents livres dont «La convergence des alizés» paru en 2012, Sébastien Lapaque nous offre cent pages de bonheur consacrées à Rio de Janeiro ; il raconte en flânant une ville toujours irrationnelle et poétique, partiellement insoumise, pour un moment encore, au divertissement et à l’empire de la marchandise.
Sa théorie prend la ville à revers des itinéraires des touristes, retournant inlassablement dans des lieux aimés que ceux-ci ignorent. Sébastien Lapaque passe ses journées à se promener seul, et «plonge dans l’estomac de Rio comme Jonas dans celui de la baleine», collectionnant les images et bien sûr les cartes postales. À travers les balades, l’évocation des innombrables statues parsemées dans la ville, de la musique et de la peinture, les témoignages des écrivains occidentaux qui furent fascinés par la ville, il fait palpiter les veines de cet organisme vivant qu’est Rio de Janeiro, dans un texte qui contient la désinvolture du carioca et la fantaisie, l’imagination, l’érudition et la culture populaire.
Apprendre à regarder une ville : ses photographes ; apprendre à l’écouter : ses musiciens ; apprendre à l’aimer : ses habitants. Et s’y perdre enfin : ses poètes.
On plonge dans cette rêverie teintée de beauté et de nostalgie, pour visiter les lieux où les temps anciens sont encore palpables, une plage isolée qui rappelle le Brésil avant l’arrivée des Européens ou au tournant du XXe siècle, lorsque Marc Ferrez photographiait une baie de Rio encore presque vierge de constructions, pour entendre Claude Lévi-Strauss, qui, débarquant en 1935, compare, désenchanté, le relief de la baie de Rio à l’intérieur d’une bouche édentée, pour rêver avec l’auteur de ce Brésil émancipé des pesanteurs et douleurs de l’Europe des années vingt jusqu’à 1964, se construisant un avenir divergent de la «civilisation» du monde occidental, pour en arpenter inlassablement les traces avant qu’elles ne soient totalement effacées, et, s’éloignant du centre de gravité de la ville, pour ressentir la profonde tristesse de la disparition en visitant la maison de Petrópolis où Stefan Zweig se donna la mort en février 1942.
En 1924, 1926 et 1927, Blaise Cendrars visita à trois reprises le Brésil. Ebloui par les lumières de Rio, « la métropole la mieux éclairée du monde […] la seule grande ville de l’univers où le seul fait même d’exister est un véritable bonheur », l’écrivain né en Suisse et devenu français après s’être engagé dans la Légion étrangère durant la Première Guerre mondiale en revint mordu jusqu’à la fin de ses jours.
Flâneur selon la phrase de Walter Benjamin indiquée en épigraphe – «S’égarer dans une ville comme on s’égare dans une forêt demande toute une éducation» -, Sébastien Lapaque fait éclore un portrait de Rio aux multiples fragments dans lequel on rêve de se perdre.
«Dieu n’a pas fait le ciel en damier d’étoiles», s’exclamait le jésuite Antônio Vieira, héros du droit des Indiens dans le Brésil du XVIIe siècle, dans un fameux sermon. Cette formule exprimait les singularités de l’âme lusitaine. Issus d’un peuple de semeurs et non de carreleurs, les colons portugais ne respectèrent jamais l’intention initiale de faire des villes en damier, à l’inverse de ce que l’on vit dans les vice-royaumes de la couronne de Castille. A la logique du quadrillage, ils préférèrent toujours celle de l’éparpillement : il suffisait de regarder Rio. Dans l’avion, il avait eu tout le loisir de relire Racines du Brésil. Il avait souligné une forte page dans laquelle Sergio Buarque de Holanda explique que la forme de la ville brésilienne exprime un état d’âme. «La ville que les Portugais ont bâtie en Amérique n’est pas un produit de l’esprit, elle n’arrive pas à contredire le cadre de la nature, et sa silhouette s’enlace à la ligne du paysage. Aucune rigueur, aucune méthode, aucune prévoyance, mais toujours cet abandon significatif que le mot desleixo [négligence] exprime bien, ce mot que l’écrivain Audrey Bell considère comme étant aussi typiquement portugais que le mot saudade et qui, selon lui, suppose moins un manque d’énergie que l’intime conviction que «cela n’en vaut pas la peine».
Sébastien Lapaque était l’invité de la librairie Charybde en Juin 2014, pour fêter la parution de ce livre et de sa «Théorie de la carte postale», et pour évoquer le foisonnant «Convergence des alizés». On peut le réécouter ici.
Théorie de Rio de Janeiro de Sébastien Lapaque aux éditions Actes Sud
Coup de Cœur de Charybde7
Pour acheter chez Charybde ce livre paru en 2014 chez Actes Sud, c’est ici.