L'AUTRE QUOTIDIEN

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Hitler sur la Place des Héros, Bernhard à la Colline

Du théâtre, il est souvent question dans Place des Héros, l'ultime pièce de Thomas Bernhard, et de l’Autriche. Comme de l’abjection que l’auteur porte à son pays ; à ses yeux, un ramassis de nazis et d’antisémites. Il y pose la question de la responsabilité de l’Autriche dans l’Anschluss, brocarde le Burgtheater alors que Claus Peymann lui avait commandé cette pièce pour fêter l’anniversaire de ce théâtre dont il était alors directeur.

Krystian Lupa a créé Place des héros au Théâtre National de Lituanie à Vilnius en 2015, un 27 mars, jour dédié au théâtre. Ici, la vindicte et l’acerbe critique sont portées par un cercle de proches et amis du Professeur Schuster qui s’est suicidé en se jetant par la fenêtre donnant sur la Place des héros à Vienne. Une place où Hitler a laissé le souvenir de clameurs qui hantent la veuve du défunt que l’on attend.

Rien ne se passe, le temps semble pétrifié. On se prépare pour l’enterrement puis on dîne après. Chacun se souvient du « professeur », de ses lubies, de ses détestations, de son sale caractère. Sa servante flanquée d’une femme de chambre puis ses deux sœurs, son frère, ses collègues. La veuve enfin, à la toute fin. Krystian Lupa excelle à mettre en scène les rapports entre ces êtres qui souvent se haïssent, se jalousent les uns les autres. Sa scénographie
est dominée par une grande et haute fenêtre donnant sur la place.

Merveilleusement servi et compris par les acteurs lituaniens, Lupa se régale de ce qui l’obsède : l’introspection microscopique de la nature humaine en requérant la personnalité des acteurs.

Un rituel qui traverse le spectacle, c'est l’attente. On croise là ce ralentissement du temps que l’on rencontre souvent dans votre travail.

Krystian Lupa : C’est central et intentionnel dans La Place des héros ; il y a trois actes et chacun se termine à un moment où rien ne se passe. Pour une dramaturgie traditionnelle c’est aberrant. au premier acte les deux servantes attendent les gens de retour du cimetière, c’est un moment vide et tout explose car le dibbouk - le professeur - apparaît dans la tête de la servante. On retrouve ces moments de vides qui font révéler des démon dans les deux actes qui suivent.

C’est la dernière pièce de Bernhard, c’est très difficile à lire, on se perd dans ses méandres dans des choses inexpliquées. le texte commence à emporter les personnages, il n’est lisible, compréhensible que lorsqu’il est dit dans le dialogue. là on commence à voir ce qui est caché, ce qui remonte des dessous, du sous-sol, d’où ces gens prennent la parole et d’où ça vient.

Le mystère qui naît des récits non racontés est tellement dense qu’on peut considérer que cette pièce procède comme procédait Beckett. Bernhard l’admirait, c’était son maître. ses premiers drames sont des imitations de Beckett, lui aussi coupe les jambes à ses héros pour qu’ils ne bougent pas, pour ne pas montrer la fausseté des comédiens. Beckett écrivait ses pièces en les emmurant dans des didascalies. et on peut les monter sans les comprendre en suivant les didascalies. on retrouve cela chez Thomas Bernhard. J’ai vu ça en France avec un vieil acteur, Serge Merlin dans Extinction.

Cette mise au jour de choses venues des profondeurs, c’est exactement votre façon de diriger les acteurs.

Krystian Lupa : C’est pourquoi Thomas Bernhard m’est si précieux. Chez lui, le plus souvent, ce que l’on dit ne fait que voiler ce que l’on pense ou ce qu’on ignore. Ce que dit le protagoniste résulte de son inconscience. Quelqu’un parle en moi, développe une idée et ce n’est pas moi. Je ne peux que suivre, horrifié. et il s’avère que ce type en moi commence à attaquer un adversaire, à dire des choses terribles, je le regrette au moment même où je les dis et pourtant je continue.

Friedrich Angel (avec insert d'interview de Jean-Pierre Thibaudat)

Place des Héros de Thomas Bernhard, mise en scène de Krystian Lupa ->15/12
Théâtre de la Colline,  rue Malte-Brun 75020 Paris

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