L'AUTRE QUOTIDIEN

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L'abstention, par André Markowicz

L’abstention américaine au vote de l’ONU contre la poursuite de l’extension des colonies arrive à la toute fin de l’administration Obama, et je la prends comme une espèce de sarcasme, ou d’aveu d’impuissance, ce qui revient au même. — Quel effet aura cette résolution ? Evidemment aucun, puisque l’administration de Trump fera tout le contraire et que l’ambassadeur en Israël nommé par le président élu est, au sens strict du terme, un fasciste, engagé dans le financement des colonies et de l’extrême-droite israélienne.
 

Et pourtant, qu’est-ce qu’il était nécessaire, ce vote inutile ! Comme il était important de dire que ce sont les nations réunies qui pensent que cette politique de grignotage de la terre est un des obstacles majeurs à la paix — pour ne pas dire l’obstacle majeur. Mais Obama, au Moyen-Orient, pendant les huit ans de son mandat, n’aura été capable que d’accroître le chaos que lui avait laissé Bush — il n’aura rien pu faire pour forcer réellement le gouvernement israélien à négocier, et à arriver à faire la paix — la paix, nécessairement avec un ennemi.

Et qu’il aurait été nécessaire, ce vote : la preuve, le tollé du gouvernement israélien, les cris, comme d’habitude, à l’antisémitisme (réservés à Obama, mais jamais à Poutine, qui, pourtant, ne s’est pas abstenu, mais a voté la résolution, avec tous les autres membres du Conseil de sécurité)... On a l’impression, vu l’ampleur de la réaction, que, oui, si ce vote était intervenu plus tôt, — disons au début du mandat d’Obama, eh bien, il aurait pu déboucher sur quelque chose, et, réellement, on aurait pu imposer des négociations sérieuses. Mais telle a été la politique d’Obama — pour Israël comme pour la Syrie : l’abstention. Une abstention qui se termine sur un désastre.

Le résultat de cette condamnation sera donc, comme disait je ne sais plus qui, « à partir de dorénavant, ça sera comme d’habitude ». — Le gouvernement d’Israël continuera d’être dirigé par une minorité extrême de fanatiques fascisants, parce que telle est la nature du scrutin proportionnel : le pouvoir absolu de la minorité la plus extrême, qui fait et qui défait, au gré de ses alliances, les majorités. Ce gouvernement continuera les implantations, aidé et financé par une administration américaine, elle aussi, fascisante, et, comme c’est déjà le cas à présent, la solution des deux Etats restera impossible. — Et puis, dans ce pays qui fut magnifique, il n’y aura bientôt que des collines bétonnées, dans le pire style de nos banlieues, — parce que c’est aussi ça, le résultat de la colonisation : le béton roi.

Et Israël continuera de faire bande à part dans « le concert des nations », comme on dit, ou plutôt, continuera de faire bande à part à cause de la cacophonie de ces mêmes nations. Il continuera aussi de prendre en otage la mémoire du Génocide, et, au nom de cette mémoire, de réduire les populations palestiniennes à l’impuissance, à les humilier de check-points en routes réservées, et donc à faire naître chez elles, de génération en génération, un désir de vengeance implacable, de plus en plus violent. Israël continuera à nourrir les extrêmes, puisque, dans une situation de déréliction totale, et d’impuissance des politiques soi-disant laïcs, ce sont les religieux qui se chargent de tout — sur la terre et au-delà, — les religieux, obscurantistes et tout-puissants sur des populations sans repère et sans espoir.

Parler d’une solution de paix à deux états est, je ne suis pas le seul à le dire, une illusion. Il n’y aura pas deux états, dans un horizon visible — juste parce que, dans les conditions actuelles, cette solution n’est pas viable, ni politiquement, ni économiquement, ni, surtout, moralement : il n’y a pas deux états. Il y a un Etat, tout puissant, et, à la rigueur, une réserve d’Indiens, à qui on accorde — et pas pour tout — une certaine dose d’autonomie, c’est-à-dire, là encore, d’impuissance. — Au moins, les Navajos, ils ont des casinos.

Le gouvernement de droite-extrême parie sur la continuité d’un niveau raisonnable de violence. Un attentat de temps en temps, un type qui se fait sauter dans un café, dans un bus, bon, c’est tragique, pour les gens qui en sont les victimes et leurs familles, mais, à l’échelle d’un Etat, c’est non seulement supportable, c’est, comment dire ? presque utile, puisque ça sert à montrer que, les ennemis, les Arabes, ne seront jamais prêts pour la paix, et ça sert à retrouver la solidarité des nations — une solidarité qui, en temps, justement, de calme, n’existe pas : car Israël est un Etat autoritaire et raciste, un Etat qui se comporte en pirate, défiant les lois internationales et les traités qu’il a lui-même signés — avec la bénédiction, veule et intéressée, des USA. C’est un Etat qui joue sur la confusion qu’il entretient entre « les Juifs » et les « Israéliens », — comme si « l’Etat juif » était l’Etat de tous les Juifs, et que tous les Juifs du monde devaient être solidaires de lui, dans l’absolu, indépendamment de la politique qu’il conduit. Parce que la politique d’Israël est celle de tous les nationalismes, — faire de son être même — un être fantasmé — une politique : il est, en tant que tel, quoi qu’il fasse, l’Etat d’un peuple élu pour une terre promise.

La terre promise, elle a bon dos.

André Markowicz


Traducteur passionné des œuvres complètes de Dostoïevski (Actes Sud), Pouchkine et Gogol, poète, André Markowicz nous a autorisés à reproduire dans L'Autre Quotidien quelques-uns de ses célèbres posts Facebook (voir sa page), où il s'exprime, entre deux travaux littéraires, sur les "affaires du monde". Nous lui en sommes reconnaissants.