C'est pas Noël pour Hellblazer !
Les amateurs de série S.F. ont eu droit en 2014 à la version télé de Hellblazer, aka les aventures de (John) Constantine, l'incorrigible anti-héros au trench-coat élimé qui pourchasse les démons par tous les moyens, et souvent des pas fameux. Le film de 2005 avec Keanu Reeves était un navet, un vrai avec du rose terreux en haut et des racines blanches en dessous. Mais la série originale a quelques atouts pour elle, dont la version signée Brian Azzarello qui refait surface, ces temps-ci …
Apparu en 1985 dans Swamp Thing sous la plume d’Alan Moore, le magicien-détective de l’étrange fut le porte-drapeau du label Vertigo. Son aura avait fini par s’étioler en même temps que celle de son éditeur et puis, le revoilà occupant une place centrale dans les tentatives récentes de DC de faire prendre la sauce autour d’une Justice League Dark au sein de son univers cinématique. L’occultiste liverpuldien a donc eu droit à une série télé éponyme. Il figurera aussi dans le line-up du film d’animation JLD prévu pour début 2017. Et dans celui du long-métrage Dark Universe, produit par Guillermo del Toro.
Constantine est un personnage taillé pour le papier : grande gueule et spirituel, le blond toujours engoncé dans son imper est un gars attachant, mais c’est aussi un type dur à cerner, mystérieux et loin d’être aimable. En un mot, un anti-héros dont les aventures, déclinées en de nombreuses nuances de gris très foncé tirant sur le noir, s’adressent à un public averti.
C’est particulièrement vrai du Hellblazer de Brian Azzarello. Le scénariste fut aux commandes de la série sur 29 numéros au début des années 2000. Même si on est loin des aventures au long cours d’un Garth Ennis ou d’un Mike Carey, Azzarello a eu de quoi imprimer sa patte. Sous sa plume, Constantine se révèle très taciturne, inscrit dans un univers plus réaliste qu’à l’accoutumée (le surnaturel est très discret) et très américain. Azzarello n’est pas britannique, à la différence de la majorité des auteurs ayant officié sur ce personnage bien anglais, et il n’essaie pas de faire semblant : sa version prend la forme d’une odyssée au plus profond des États-Unis dans laquelle se retrouve embarqué on ne sait pas bien pourquoi son héros. Il y a bien un fil rouge entre les différentes histoires racontées ici mais il est ténu. Ce qui importe, c’est l’ambiance. Et quelle ambiance !
En attendant la sortie chez Urban de la deuxième et dernière partie de ce run (annoncée en juin prochain), on se concentrera sur la première qui s’articule en trois gros morceaux et débute avec l’uppercut Hard Time, qui se déroule intégralement en prison. Dès la première page, le narrateur, un détenu, partage son quotidien fait d’humiliations et de viols. À la manière de Oz, le pénitencier nous est dépeint comme une jungle aux mains des gangs, tous plus vicieux les uns que les autres, dont la hiérarchie se trouve bouleversée par l’arrivée de Constantine, incarcéré pour meurtre. Le personnage est chez Azzarello une figure eastwoodienne : l’étranger qui sème le trouble là où il passe, un ange vengeur qui redresse les torts sans donner d’explications, avec un coup d’avance sur tout le monde et toujours un sourire goguenard rivé aux lèvres. Le génie dans cette affaire, c’est d’avoir fait appel à Richard Corben (Ratgod, Esprit des morts…) pour dessiner cette histoire. Cette légende de la BD de genre underground, pilier du magazine Heavy Metal, donne un caractère vraiment unique à ce récit. Ses personnages grotesques et inquiétants, comme dessinés par un Crumb en plein bad trip, évoluent comme dans un cauchemar perpétuellement nimbé dans la fumée paranormale exhalée par le fumeur invétéré Constantine. Un sommet de noirceur.
Maxime Duchamps (avec Bodoï)
Brian Azzarello présente Hellblazer #1. (Urban Comics)