L'AUTRE QUOTIDIEN

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Viens batifoler chez Raazade avec Salman Rushdie

Sous le coup d'une fatwah depuis vingt sept ans, Salman Rushdie a gardé la plume alerte et l'humour cinglant. Son dernier ouvrage paru à la rentrée, Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits, soit Mille et une nuits est une charge contre le mensonge contemporain, la politique sans but et les religions à contre-emploi. Et c'est un vrai bonheur de lecture dans le registre des contes voltairiens.   

Amoureux des contes populaires d'origine persane et indienne, Salman Rushdie puise dans leur imaginaire merveilleux pour démonter notre réalité contemporaine, marquée par le terrorisme, le fondamentalisme religieux, le réchauffement climatique et la perte globale de repères. L'approche du livre est plutôt nietzschéenne, car les dieux sont morts depuis longtemps à avoir pris les petites manies des hommes. «Au lieu de répondre aux attaques contre la liberté d'expression, des voix se sont élevées pour crier au blasphème et proposer des compromis avec le terrorisme. Il n'y a pas de blasphème dans une démocratie», affirme-t-il.

Pour Rushdie, peu à peu nos démocraties acceptent cette notion de compromis. S'il publiait Les Versets sataniques aujourd'hui, il ne serait pas soutenu comme il l'avait été à l'époque. Dans ce roman de 1988, il avait tenu des propos jugés injurieux à l'encontre du prophète Mahomet. «Aujourd'hui, on m'accuserait d'islamophobie et de racisme. On m'imputerait des attaques contre une minorité culturelle», explique l'écrivain. Il défend la liberté de penser et affirme avoir le droit de dire que la religion est une stupidité. Quand les obscurantistes islamistes n'y avaient pas vu la référence aux Rolling Stone de Sympathy for the Devil…

Kees Van Dongen - La Nuit

L’allusion explicite du roman aux Mille et une nuits, la manière dont les célèbres contes anonymes contaminent sa structure en y multipliant les génies, magies, portraits et historiettes enchâssées dans la société réelle et la guerre imaginaire qu’il évoque, donnent le sens du combat. Il imagine des aventures pour survivre un jour de plus à la sienne, à ses juges, à ses chasseurs de prime, et, pourquoi pas, à ses lecteurs - si possible en riant de tout ce qui pourrait l’en empêcher. Cette fois, il s’agit de raconter la guerre qui, à l’orée de notre siècle, oppose une humanité défaite à quatre génies obscurs et puissants, les Ifrits, esprits répertoriés dans le Coran. Ils disposent d’une sinistre et débile armée de génies secondaires et de «zélés» - des zombies, en quelque sorte. Et si l'on ytrouve beaucoup de sexe, c'est,  comme il le dit lui-même :  "Les gens qui ont une vie sexuelle heureuse ont moins de chances de porter une ceinture d’explosifs. C’est une théorie. Mais si on étudiait ces kamikazes, on pourrait s’apercevoir qu’ils sont presque tous vierges. (...) Lorsque les filles et les garçons ne peuvent pas être ensemble de façon normale, c’est une espèce de distorsion sociale et ça peut engendrer des tas de problèmes différents."

Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits est le temps qu’il faut à Dunia et ses descendants pour régler leur compte aux méchants génies. La chronique est tenue, environ mille ans plus tard, par une voix anonyme et collective, celle d’une humanité pacifiée - et un peu ennuyeuse : la raison et l’équilibre ont gagné, les mauvais génies sont morts ou ont regagné leurs pénates sublunaires.  Mais là où la sagesse a gagné, l'imagination a disparu. Et c'est la parabole la plus terrible du livre…

Salman Rushdie

Un peu partout dans le monde, la religion s'infiltre dans la politique. Les islamistes veulent le pouvoir politique. Ils pensent que la société parfaite a existé au VIIe siècle, et la révolution khomeyniste, comme la communiste, se présente comme une révolution contre l'Histoire. «Face à la réalité, il faut nommer les choses: les journalistes de Charlie Hebdo ont été tués au nom d'Allah et pour venger le Prophète», affirme Rushdie. Les gouvernants occidentaux semblent avoir du mal à employer le terme «terrorisme islamiste». Ils préfèrent parler de «déséquilibrés» ou «d'extrémistes radicaux». «Vous, Français, employez l'étiquette Daech, ce qui neutralise les choses, alors que partout dans le monde on appelle ce mouvement Isis, Islamic State of Iraq and Syria, pour faire entendre le mot islam», se désole Salman Rushdie.

"Si vous pensez que le monde est plat et que vous le croyez en toute sincérité, que vous allez dans une église où tout le monde pense la même chose, eh bien moi je me revendique le droit de pouvoir dire que vous êtes un crétin."

Maxime Duchamps

Salman Rushdie - Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits - éditions Actes Sud