Christian Marclay, disque de platiniste : « Beware, this is scarry stuff ! »
Artiste multimédia, Christian Marclay est un pionnier du mouvement platiniste (DJ qui travaille plus sur le son que sur les disques) et connaît un succès international depuis son œuvre magistrale de 24 heures, The Clock. Mais il adore toujours se confronter à d'autres artistes, des platinistes comme lui ou mieux encore des musiciens. Et le résultat est souvent un choc, comme ici avec la violoncelliste Okkyung Lee.
The Clock est un mécanisme réglé avec la précision d'un horloger et qui nous indique l'heure en temps réel, minute par minute, pendant vingt-quatre heures. Pour composer cette œuvre, Christian Marclay a orchestré des milliers d'extraits, puisés dans toute l'histoire du cinéma. Des comédies en noir et blanc aux séries B, des films d'avant-garde aux films à suspens, tous rendent visible le temps qui passe à travers une myriade de plans d'horloges, de réveils, d'alarmes, de montres, d'actions ou de dialogues illustrant cet implacable écoulement.
Enregistré au printemps 2014 au Café Oto, c’est la rencontre d’un violoncelle et de platines – une dizaine d’années auparavant, c’était au Tonic de New York qu’Okkyung Lee et Christian Marclay avaient enregistré ensemble ce Rubbings consigné sur un des volumes de From the Earth to the Spheres, série de splits sur lesquels on trouvait à chaque fois My Cat Is An Alien.
En ouverture, c’est un vinyle retourné contre un archet qui gratte et même parfois coince. La suite rappellera le conseil donné par Marclay dans les notes de pochette qu’il signa pour Anicca, autre duo de Lee : « Beware, this is scarry stuff » – avant celui-ci, on trouvait la liste de sons étranges (noms pour la plupart tirés de verbes, donc d’actions) allant de « buzzing » à « whooping » ; après quoi, Marclay reconnaissait que les mots sont parfois pauvres pour décrire ce que peut receler un disque.
En français, on fera le même constat au son de ces crépitements et de ces boucles, de ces vrombissements et de ces glissades, de ces chuintements opposés à de beaux effets de pleurage, de ces rythmes incongrus que l’archet cherche presque aussitôt à enfouir, enfin de cet hymne branlant qui, au couple, servira d’impressionnante conclusion. Au temps d’Anicca, Marclay l’avait bel et bien saisi : la musique de Lee prend forme dans le verbe ; il ne lui restait qu’à suivre le mouvement.
Christian Marclay a déjà scratché une jam d'Hendrix pour la rendre encore plus psychédélique ou a fait se croiser Chopin et Armstrong sur ses platines, mais moins intéressé que ses collègues par le hip-hop, il a plutôt collaboré avec John Zorn, Thurston Moore et Ikue Mori. Sauf que cette fois, pour définir le son, on dira qu'il est parti, dans ce duo avec Lee, en recherche de timbres tous azimuts.
Jean-Pierre Simard
Christian Marclay & Okkyung Lee - Amalgam (Northern Spy Records )