Dom Juan, plein la gueule à l'Odéon
En mars dernier, notre amie Anne Diatkine en disait ceci : Quelle impression étrange, lorsque le travail d'une équipe réussit à donner le sentiment aux spectateurs qu'ils découvrent une pièce archiconnue pour la première fois ! Et ce, en premier lieu, grâce aux acteurs [...] qui jouent la pièce au présent, et non comme si la fin était courue d'avance. C'est élémentaire, mais si rare !
Un grand texte et une superbe équipe animée par un metteur en scène passionnant et passionné : Jean-François Sivadier, qui revient à Dom Juan vingt ans après une première approche. Une troupe intense, solidaire et engagée, forte de plusieurs années de travail en commun, emmenée par un protagoniste flamboyant : Nicolas Bouchaud, avec à ses côtés Vincent Guédon, d'ores et déjà qualifié de « Sganarelle d'anthologie ». Un classique plus que décapé : remis à neuf et à nu, jonglant avec « le rire et l'effroi ». Un spectacle applaudi partout où il est passé, fidèle au génie de Molière : comique et critique, brillamment provocateur, d'une folle et nécessaire liberté.
Dom Juan viole, Dom Juan séduit. Il fuit, il combat. Lâche, brave, subtil, brutal voire criminel, peu lui importe. Il ne craint rien, et surtout pas la contradiction ni même le ridicule. Il lui suffit d’être soi et fidèle à soi. L’hypocrisie, qu’il découvre en fin de parcours, n’est qu’une arme de plus dans sa panoplie. Pourquoi donc devrait-il être sincère envers quiconque ? Tout devoir n’est qu’une dette, et Dom Juan ne s’en reconnaît aucune. C’est l’éternelle illusion des pères que de croire que leurs fils leur doivent le jour ; c’est la sempiternelle naïveté des créanciers qui les persuade que leurs débiteurs sont tenus de les rembourser ; c’est l’immortelle bêtise des valets que d’espérer de leurs maîtres qu’ils leur régleront leurs gages avant que le rideau ne tombe. Et que dire des pauvres épouses qui se fient aux belles promesses de leurs maris ?
Jongleur, joueur, acteur, Dom Juan selon Sivadier est un « corps offert comme un espace de projection à toutes les interprétations ». Un peu clown aussi, car « la comédie commence toujours dans la rencontre malheureuse de la théorie et de la pratique ». Faisant de la scène « une arène » où jouer ses tours avant sa mise à mort, Dom Juan serait insaisissable s’il n’y avait la statue du Commandeur au bout de sa route. Mais il n’est même pas sûr que « le convive de pierre » maîtrise tout à fait ce diable d’homme. Car le feu de la damnation consume Dom Juan, mais n’efface pas les paroles qu’il a prononcées...
Dom Juan de Molière -> 4/11/16
mise en scène Jean-François Sivadier avec Marc Arnaud, Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, Vincent Guédon, Lucie Valon, Marie Vialle
Théâtre de l'Odéon, Place de l'Odéon 75006 Paris