Covers : une livraison de palettes par Riccardo Pocci
Riccardo Pocci utilise le papier, la toile et les palettes de chantier pour interroger la perception visuelle, qui est au centre de sa réflexion artistique. Adulte, il est obligé de quitter l’Argentine suite à la crise économique qui bouleverse le pays. Cet événement le marque très profondément, et la politique et la société deviennent les thèmes centraux de son œuvre. En ce moment il vit entre Milan et la Toscane, d’où il a pu répondre à quelques questions sur «Covers», sa série de peintures consacrée aux livres.
Riccardo Pocci est un artiste italien, peintre et photographe qui utilise le papier, la toile et les palettes de chantier. Depuis ses études il s’intéresse à la perception visuelle qui devient le leitmotiv de sa réflexion artistique. Fils d’ouvrier pendant les années de plomb, il commence à s’intéresser à la politique et à l’éthique. Adulte, il est obligé de quitter l’Argentine suite à la crise économique qui bouleverse le pays. Cet événement le marque très profondément, la politique et la société deviennent les thèmes centraux de son œuvre. Nomade dans l’âme, il voyage et se déplace au gré de ses intérêts. Il expose un peu partout dans le monde : New York, Buenos Aires, Zurich, Paris, Rome, Téhéran, etc… En ce moment il vit entre Milan et la Toscane d’où il a pu répondre à quelques questions sur sa série de peintures « Covers » consacrée aux livres.
Vos sujets de prédilection sont plutôt l’architecture et la représentation de notre environnement urbain comment en êtes-vous venu aux livres ?
J’ai commencé à travailler sur l’architecture en 1998 avec une réflexion sur les différentes textures et façades des édifices. Et en particulier sur leur rapport avec la nature et leur reflet métaphorique sur la structure et l’organisation sociale. La volonté de représenter l’architecture comme miroir de la société s’est développée en parallèle à mon intérêt pour les changements sociaux, les différentes cultures, les matériaux et la perception visuelle. Les livres, aussi bien que leurs couvertures, contiennent en soit les pulsions, les ambitions, les contenus graphiques et idéologiques qu’on trouve aussi dans l’architecture.
Comment avez-vous choisi les couvertures de livres que vous avez utilisé pour ce travail ? Que nous disent ces choix sur notre société et la culture en général ?
J’ai choisi les couvertures des livres selon des critères assez variés. Parfois, j’ai reproduit un livre tout simplement parce que je l’aime. D’autres fois c’était à cause de l’année de publication ou pour les caractéristiques de l’édition en question mais, surtout, pour la cohérence de l’image de couverture avec mes recherches. Le résultat, je crois, est un recueil hétérogène de stimuli littéraires et graphiques. Au début, j’ai fouillé dans ma bibliothèque et dans celle de la famille. Ensuite j’ai continué au fur et à mesure des mes collaborations et intérêts. Par exemple Giuseppe del Greco (illustrateur chez Mondadori) m’a très gentiment donné la possibilité de reproduire sa revue (Obnoxius). L’antiquaire milanais Davide Cagliani (le premier qui a exposé mes Covers) m’a offert l’occasion d’utiliser une édition originale du 1693 des Lettres du Cardinal Mazarin. Ou encore, une lecture publique des poèmes de Dino Campana m’a donné l’idée de chercher la toute première édition de I Canti Orfici. De même, j’ai utilisé un livre de mon père les Canti Anarchici (Chansons Anarchiques) que j’ai présenté à ma dernière exposition à Sarzana, qui traditionnellement est une terre d’anarchistes !
Mes choix sont malheureusement partiels car l’archive d’images que j’ai créé est presque infinie. Néanmoins, j’espère que, malgré la partialité des choix, le fil rouge de cette collection Covers soit reconnaissable, voire évident ! En effet, je fais un clin d’œil au pop art avec l’intention de le transposer en Europe. J’essaie de construire un parcours historique, culturel et didactique tout en utilisant la technique moyenâgeuse de la tempéra sur panneau.
Vous abordez plusieurs genres littéraires (roman, SF) quels sont vos genres de prédilection ?
Mes livres de prédilection sont les essais philosophiques sur l’art. Je m’y suis intéressé dès l’époque de mes études. Ensuite il y a les livres d’art. J’adore aussi la BD, même si j’ai une connaissance très limitée du secteur. En revanche, je suis très calé sur la science-fiction qui est une de mes lectures préférées depuis toujours. J’ai aussi un grand amour pour l’histoire, en particulier pour la période qui va de 1400 à 1600. Ensuite, bien évidemment, les grand classiques de la littérature. Parmi mes favoris il y a Hemingway et Umberto Eco. Je nourris aussi une grande curiosité vis à vis des nouvelles générations de romanciers et romancières. Je pense que dans les livres on peut trouver les réponses à des questions que nous ne nous sommes pas encore posées. En conséquence je mène une sorte d’enquête à 360°. Et je crois que l’hétérogénéité des mes Covers est assez représentative de mes lectures et intérêts.
J’imagine que vous êtes sensible au graphisme des couvertures, est-ce qu’il y a des éditeurs dont vous aimez particulièrement les choix graphiques ?
Il y en a plein ! Penguin, Adelphi, Sellerio, Abscondita, 001, Cocoino Press, Donzelli, Laterza et bien d’autres encore. Comme j’apprécie le graphisme, il m’est impossible d’ignorer le beau travail des graphistes qui réalisent – hier comme aujourd’hui – la couverture d’un livre. Je suis beaucoup plus attiré par l’illustration que par la photo et je remarque et apprécie les choix des matières et les différentes techniques d’impression. J’évite sciemment les livres de poche, pas spécialement pour leur graphisme (quoique parfois…) mais plutôt parce que ce genre de livre vieillit très mal !
Quelle relation entretenez-vous avec le livre en tant qu’objet ?
Le livre est un objet en trois dimensions qui contient de l’art mais aussi notre pensée et notre histoire. Nous vivons la révolution digitale qui dématérialise notre vie et notre mémoire. Dans le digital ont perd les principes de perception inhérents au réel, c’est-à-dire la réalité tangible et non pas sa projection. L’origine de mon discours est le Nuovo Realismo théorisé par Maurizio Ferraris (Manifesto del Nuovo Realismo, edizioni Laterza, 2014) en opposition au postmodernisme qu’on considère achevé. Dans cet essai, Ferraris analyse la parabole de l’époque postmoderne : sa naissance, son développement, son apogée et son inexorable implosion. Né en proclamant la mort de l’idéologie (de toutes idéologies) le postmodernisme a voulu anéantir l’illuminisme, le marxisme et, évidemment, le réalisme. Pour ce faire il a utilisé l’ironie, la désublimation et la désobjectivation du réel et du concept même de vérité : c’est-à-dire ce que Ferraris définit « pensiero debole » (la pensée faible) qui, à travers une utilisation réaliste des médias a décrédibilisé (pas irrémédiablement on espère!) le concept même d’Histoire et de Culture (La Condizione Postmoderna, Jean-François Lyotard, Les Editions de Minuit, Paris, 1979).
L’association est très complexe et il y aura, j’espère, d’autres occasions pour l’approfondir. De toutes façons, l’opération esthétique à la base de mes Covers a comme objectif de dévoiler – de rendre perceptible – cet écart. Mon intention, certes utopique, est celle de rematérialiser la culture en créant un court-circuit de la perception : je pars d’un livre et j’utilise un support en trois dimensions, ensuite je le photographie et je le prépare pour l’impression, donc pour une reproduction en série et, pour finir, une diffusion digitale. Cela tout en élevant l’objet livre au rang d’œuvre d’art. En tant qu’artiste je me donne pour tache de défendre et de diffuser la culture, en rendant hommage aux graphistes qui m’ont inspiré tout au long de mon parcours.
Vos palettes me rappellent un mouvement sur lequel je viens d’écrire un article les Book Block qui ont leur origine en Italie, c’est l’idée de faire des livres un outil de contestation, est-ce que vous connaissiez ces livres-boucliers ? Qu’est-ce que vous en pensez ?
Je ne connaissais pas les Book Block, mais je connais très bien le collectif Wu Ming. Je suis leur travail depuis la sortie de leur premier livre avec leur ancien pseudonyme Luther Blisset. Merci pour cette information. C’est une belle découverte et aussi une confirmation du fait qu’il est nécessaire, pour chacun d’entre nous, de se mobiliser pour défendre les attaques quotidiennes que subissent les universités, les bibliothèques, la littérature, la libre pensée, la culture et aussi le travail. Je trouve que c’est une initiative fabuleuse à laquelle j’adhère complètement ! Elle se base, il me semble, sur les mêmes présupposés de défense de la culture que j’essaie de proposer avec ce travail de Covers. La culture, l’éducation, la pensée, le travail, doivent être – ou bien doivent redevenir – les objectifs principaux de la société civile et donc de la politique. Pour revenir à Ferraris : la dérive postmoderne, qui a trouvé dans le modèle capitaliste sa source de prospérité, a défini et, à nos jours, continue de définir son développement et ses objectifs selon des critères purement économiques et non pas sociaux. Je crois qu’il est fondamental de résister culturellement mais aussi de lutter pour un changement de politique et pour un nouveau modèle de développement. Vive Book Block ! Vive la Révolution !
Pour plus d’informations sur le travail de Riccardo Pocci, voici l'adresse de son site : http://www.riccardopocci.com. Un grand merci à Sabrina Piscaglia pour la traduction de cette interview.
Cet article est d'abord paru sur le site du collectif de créatifs nantais Carré Cousu Collé, des amoureux du livre, de l’objet et de son contenu avec qui Nuit & Jour est heureux de commencer à collaborer. D'ailleurs, si vous travaillez sur des domaines bien précis, avez votre propre site, et pensez que nous y gagnerions mutuellement à collaborer occasionnellement autour du projet d'un quotidien culturel, faîtes comme eux : n'hésitez pas à nous écrire. C'est ainsi que nous imaginons étendre nos domaines d'expertise.
Noémie Spiessert. Amoureuse des livres depuis toujours j’en ai fait mon métier en étant libraire pendant une dizaine d’années. Depuis peu éditrice de contenus numériques je m’intéresse aux nouvelles formes de narrations et aux nouveaux usages que permettent les outils numériques. Je suis aussi atteinte de tsundoku (l’art d’accumuler les livres) .