Tchekhov au tg STAN - La Cerisaie en version carnassière
Il y a du Beckett dans ce Tchekhov, car, d'entrée, tout est dit dans La Cerisaie. Mais que reste-t-il alors ? Rien, fors le théâtre, très exactement actualisé par les tg STAN à la Colline qui en font un rituel de dépossession carnassier mondialisé - et percutant.
Pièce majeure du répertoire contemporain depuis un bon siècle, La Cerisaie, dernière pièce de Tchekhov est considérée par beaucoup comme la plus mystérieuse, la plus ambigüe. Dès le départ, l’intrigue est résolue : la cerisaie sera vendue. Que se joue-t-il, alors, entre le retour au domaine de la propriétaire, Lioubov Andréïevna, et la sortie ?
Face à la perte de la propriété, les personnages semblent hésiter entre opportunisme, résignation et nostalgie. La Cerisaie décrit à la fois le déclin d’une aristocratie indolente et la victoire d’un capitalisme carnassier. Pour étendre le domaine de la valeur marchande, il dévore jusqu’aux cerisiers. Malgré un décor propice à la critique sociale ou à la mélancolie, Tchekhov assurait qu’il s’agissait d’une comédie. Il se fâcha même avec Stanislavski qui la tira du côté de la tragédie. Au-delà des registres, les tg Stan font de La Cerisaie une pièce d'aujourd’hui. La raison instrumentale y menace l’inutile et la beauté, le langage peine à combler le vide quand il n’est pas lui-même vidé. Comme à leur habitude, les acteurs belges ne cherchent pas à reconstituer le décor historique de la pièce, mais nous en proposent une vision collective, longuement infusée, qui nous est chaque soir directement adressée.
Quinze ans après avoir monté Platonov, la compagnie s’entoure de cinq acteurs tout juste sortis d’écoles de théâtre, soulignant ainsi la vertigineuse bascule, entre deux époques, systèmes de valeurs et générations, qui opère dans La Cerisaie.
Habitués du festival d'Automne depuis des lustres, la compagnie tg STAN est fondée sur la destruction de l'illusion théâtrale, le jeu dépouillé, la mise en évidence des divergences éventuelles dans le jeu, et l'engagement rigoureux vis-à-vis du personnage et de ce qu'il a à raconter. Le refus du dogmatisme est évoqué par son nom – S(top) T(hinking) A(bout) N(ames) – mais aussi par le répertoire hybride, quoique systématiquement contestataire, où Cocteau et Anouilh côtoient Tchekhov, Bernhard suit Ibsen et les comédies de Wilde ou Shaw voisinent avec des essais de Diderot. Mais cet éclectisme, loin d'exprimer la volonté de contenter tout le monde, est le fruit d'une stratégie de programmation consciente et pertinente.
STAN fait la part belle à l'acteur. Malgré l'absence de metteur en scène et le refus de s'harmoniser, d'accorder les violons – ou peut-être justement à cause de cette particularité – ses meilleures représentations dégagent une grande unité dont fuse le plaisir de jouer, tout en servant de support – jamais moralisateur – à un puissant message social, voire politique.
La Cerisaie du 2 au 20 décembre
La Colline – théâtre national
15, rue Malte-Brun – 75020 Paris
mar. 19h30, mer. au sam. 20h30, dim. 15h30
relâche lun. et dim. 13 décembre
Représentation supplémentaire le dimanche 20 décembre à 15h
14€ à 29€ // Abonnement 9€ à 15€
Durée : 2h environ