Comment j'ai tué Kurt Cobain, ou le Roman de Boddah
Avant le 6 novembre et la sortie DVD du rockumenteur "Montage of Heck" de Brett Morgan (déjà déchiré ici) avec son album d'inédits, Nicola Otéro sort chez Glénat BD, Le Roman de Boddah (comment j'ai tué Kurt Cobain), roman graphique de 150 pages qui narre une toute autre histoire, plus barrée, plus sordide, mais ô combien plus flamboyante; sa vision d'un Kurt Cobain - toujours aussi romantique, honnête et assujetti à tant d'émotions contradictoires qui le pousseront à abuser de la gâchette après avoir été le porte-parole de sa génération.
Sans réellement attaquer du côté du sordide, rien des travers du créateur majeur du punk US, un rien tourmenté, ne nous sera épargné dans cette adaptation du roman éponyme d'Héloïse Guay de Belissen par un dessinateur qui privilégie le cru au cuit et le noir au discours bienséant des labels discographiques. A savoir Nicola Otéro, dont le parcours louvoie entre polar avec Roger Martin, pour AmeriKKKa, western mystique avec Laurent Moënard pour Le Sixième Soleil, avant de virer vers l'improbable et la SF de Bonecreek avec BAT ou la saga SF de Corberan avec New Moscow - attaque dans le dur avec un allant sans pareil et un trait qui joue l'histoire, en en suivant les méandres : du gras au maigre, du délié au sordide et, du glauque aux rares instants de bonheur.
Ici, le trait varie du brouillé des scènes de foule à la précision chirurgicale, comme un changement d'angle, pour plus de précision lors des scènes d'action, en solo ou en groupe, voire avec Courtney Love. Et finalement, ce récit de la souffrance continuelle, dans la réussite, comme dans la révélation d'un monde qui n'apporte au final rien de neuf à la vision du héros (totalement déconstruit par sa vie) est porté par un alter ego, le fameux Boddah, petit frère de circonstance, imaginaire de substitution à la présence envahissante. De l'histoire à cru (et en levrette) de Courtney Love à l'arrivée de Francis Bean, des tours pendable à l'explosion de Nirvana puis du MTV Unplugged, une vie qui aura plié les circonstances aux désirs de son héros irrémédiablement branché sex & drugs & rock'n'roll. Peut-on l'aimer sans cela ? Plus de vingt ans après, si vous êtes passés à côté du phénomène, le condensé ici présent vous plongera au cœur de l'action. Et attention où vous mettez les pieds, c'est plein de seringues par terre…
Jean-Pierre Simard
Le Roman de Boddah ( comment j'ai tué Kurt Cobain)
Nicola Otéro ( Ed. Glénat BD / Coll. 1000 Feuilles)