Réédition en vinyles des cinq disques d'un groupe aussi influent que secret : Harmonmoniaia

 

Inconnu du grand public encore aujourd'hui, Harmonia est pourtant le groupe qui a poussé Brian Eno vers l'ambient, et incarné une autre voie du rock allemand, à l'écart du machinisme de Neu, de l'électronique de Kraftwerk et Tangerine Dream, ou de l'expérimentation ethno­-jazz ou rock de Amon Düül II et Can. Le coffret cinq vinyles intégral qui sort ces jours-ci rappelle l'importance de ce trio de génies partis vivre à la ferme pour y créer sans contraintes (autres que celles toujours mordantes de l'argent, puisque nous manquons, et manquerons toujours, de certains de leurs enregistrements d'origine, le trio réenregistrant sur ses bandes, par souci d'économie !) une musique totalement à part.

Est-­ce le son boisé des instruments avec une apparente coolitude dans la composition pour mieux dissimuler les recherches qui font suite, côté krautrock, à celles de Györgi Ligeti, ou la volonté affichée de vivre à l'écart du monde du disque (à Forst dans une forêt au Sud de l'Allemagne) pour expérimenter en toute tranquillité qui ont défini les paramètres du son d'Harmonia ? En tout cas, le super-groupe composé de Dieter Moebius et Hans-Joachim Roedelius de Cluster, ainsi que de Michael Rother de NEU!, avec des renforts de Mani Neumeier, le batteur de Guru Guru et du célébrissime ingénieur du son Conny Plank a marqué d'autres expérimentateurs comme David Byrne ou Brian Eno, qui les fera se réunir pour enregistrer un dernier album avec eux en 1976, Tracks & Traces, pépite du coffret. Un Brian Eno en partance pour Montreux pour y enregistrer Low avec David Bowie, qui les invitera à jouer sur Before and After Science, Cluster & Eno et After The Heat, les deux années suivantes.

J’adorais Harmonia parce qu’ils représentaient tout ce qui fait pour moi l’esprit de la musique allemande, en général, avec la rigueur, le sens de l’expérimentation et le dépouillement.
— Brian Eno

Avec Harmonia, on passe au fil des albums du krautrock bucolique à des moments de pure énergie d'arabesques live, ou à des recherches sonores qui ne s'affichent jamais vraiment pop, mais en dérive à partir du son allemand des années précédentes. Entre Neu! (la première section rythmique de Kraftwerk) et Cluster, et les aventures situées du côté de l'École de Darmstadt, autour de Stockhausen, les couleurs et les rythmes des morceaux n'obéissent plus que très peu à des modes européens classiques de composition. L'aventure dura trois années (1973/76) durant lesquelles le groupe allemand suit une voie allemande, ignorant les règles de la pop anglo­-saxonne pour, comme Can le prédisait, "sortir de l'ornière culturelle issue des années terribles du fascisme, et renouer avec la culture germanique de haut vol".

Un pari tellement bien tenu que c'est sûrement aujourd'hui, avec la sortie du coffret, que le grand public va découvrir et peut-­être comprendre, ­ou du moins apprécier­, les innovations passées à la trappe d'un groupe qui a su influencer durablement la new wave anglaise et américaine.

Jean­-Pierre Simard

Coffret Harmonia (Grönland 2015) :

  • 1974 Musik von Harmonia (studio album)
  • 1975 Deluxe (studio album)
  • 1976 Tracks and Traces (as Harmonia & Eno)
  • 2007 Live 1974 (live album)
  • 2015 Documents (inédit)