Yves Buraud et la géopolitique de Lewis Carroll
On sait depuis les situationnistes que la vision du monde dépend de la manière de le montrer et que nous vivons assurément dans la société du spectacle où la vie ne dépend plus que de la manière de nous la faire ingurgiter… Buraud sort un contre-feu.
Si dans les années, 70 les structuralistes français affirmaient que jamais, au grand jamais, il ne fallait confondre la carte et le territoire, pour mieux différencier l'objet et sa représentation, Yves Buraud, pour des questions pratiques, en revient au roman Sylvie et Bruno de Lewis Carroll qui se situait à la fin du XIXe dans la crise de la représentation - et finissait par une carte à échelle un/un. bonjour l'enfer ! Bonjour chez vous !
Et c'est bien dans l'absurde et ses déclinaisons qu'il appréhende le monde qu'il choisit de figurer avec un ensemble d’œuvres qui confrontent le registre de la peinture abstraite et monumentale, à celui de l’imagerie urbaine. Sur des immenses cimaises évidées et brutes, une série de « compilations graphiques » est présentée, cartes de géographie scolaires taguées « artificiellement » dialoguent avec des photographies de mobiliers urbains et d’architectures standardisées associées à des motifs colorés géométriques. Le visiteur fait face et est submergé par cette installation architecturale qui le renvoie au pied des tours qu’elle figure.
Yves Buraud donne à voir la plasticité et la diversité des architectures « périphériques » standardisées et délaissées. Interventionniste convaincue, il affiche à partir de la fin des années 90 ses « cartes » dans l’espace public, et les fait pénétrer petit à petit l’espace de la galerie. Ses textes présentés en parallèle, particulièrement critiques et effleurant l’absurde, rendent compte de sa vision psycho-géographique du monde contemporain, et évoquent de manière caustique les banlieues, les conséquences de l’aménagement urbain sur ses habitants, les politiques sécuritaires… Ici, les enjeux de la ville sont ceux des politiques d'urbanisme dévoyées: ville linéaire, verticale ou radioconcentrique qui génèrent stratifications et inégalités sociales.
A croire que nous vivons dorénavant dans un monde réaliste-socialiste dont l'enjeu inversé balance uniquement du côté des chariots de supermarché.
Nous utilisons maintenant le pays lui-même comme sa propre carte de Yves Buraud