La découpe budgétaire des Pays de la Loire : Y’en a un peu plus, je vous l’enlève quand même ?
La présidente du Conseil Régional, Christelle Morançais, annonce une coupe de 100 millions d’euros dans sa proposition de budget 2025 mettant en péril 150 000 emplois locaux et des dizaines de structures culturelles, sportives ou sociales. Ce budget amputé sera présenté au vote le 19 décembre prochain et le monde de la culture se mobilise.
Jeudi 17 octobre 2024, la présidente de la région Pays de la Loire Christelle Morançais a indiqué vouloir « réaliser 100 millions d’euros d’économies sur le budget de la collectivité en 2025 » en session plénière du conseil régional (source).
L’élue passée par Les Républicains avant de rejoindre le parti Horizons prévoit de réduire 70% des subventions à la culture, à l’égalité hommes-femmes, au sport, à la vie associative ; sans compter l’arrêt des subventions au planning familial et la suppression de 10 % des effectifs de la région d’ici à la fin de son mandat (source).
Une annonce très politique, qui sort du seul contexte économique, puisque Christelle Morançais précise viser spécifiquement : « Le monopole d’associations très politisées, qui vivent d’argent public » (source)
Une certaine vision de la culture
À la levée de boucliers du secteur associatif, culturel et des citoyens face à cette mesure, Christelle Morançais s’explique sur ces réseaux sociaux « Je suis la cible de militants qui m’accusent de vouloir arrêter les subventions régionales à leurs structures. A moi seule, je voudrais “détruire la culture” (la culture subventionnée, je précise)… Rien que ça ! Mais je m’interroge : quelle est la pérennité d’un système qui, pour exister, est à ce point dépendant de l’argent public (y compris venant de collectivités dont les compétences légales en matière de culture sont très limitées) ; et à plus forte raison quand cet argent public n’existe plus ? Un système dont on constate, en plus, qu’il est, malgré les subventions dont il bénéficie, en crise permanente ! »
La culture serait donc un monopole intouchable ? Le monopole d’associations très politisées, qui vivent d’argent public. Je suis la cible de militants qui m’accusent de vouloir arrêter les subventions régionales à leurs structures. A moi seule, je voudrais « détruire la culture »…
— Christelle MORANÇAIS (@C_MORANCAIS) November 12, 2024
Une vision très libérale de la culture qui passe à côté des véritables enjeux pour les régions ?
Mobilisé devant l’hôtel de région à Nantes lors d’une manifestation Nicolas Dubourg, président sortant du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles, insiste sur la notion de service public : « C’est un service qui, au-delà des biens de consommation que les citoyens achètent, est un supplément à leur revenu, c’est un supplément commun. C’est ce qui permet d’envoyer des enfants à l’école, de se faire soigner à l’hôpital, d’accéder à des théâtres sans avoir à débourser de l’argent parce que, précisément, on a décidé de le payer de manière collective par la redistribution de l’impôt. » (source)
Pierre Bourdieu écrivait déjà en 2001 dans La marchandisation de la culture. Art actuel, n°80, 2001-2002 « L’indépendance, difficilement conquise, de la production et de la circulation culturelle à l’égard des nécessités de l’économie se trouve menacée, dans son principe même, par l’intrusion de la logique commerciale à tous les stades de la production et de la circulation des biens culturels. »
« La culture n’est pas compétitive, les enjeux sont ailleurs ». Le 19 novembre 2024, Éric Pessan dans une lettre ouverte à Christelle Morançais écrivait : « Vous n’êtes pas sans savoir que l’art n’est pas rentable, que la culture n’est pas compétitive, que les enjeux sont ailleurs et que sans aides publiques, les acteurs culturels qui survivront seront justement les moins aventureux, les plus consensuels, les plus lus, vus et écoutés, les plus populaires et parfois les plus populistes. Bâtir une politique culturelle est un constant effort pour ne pas sombrer dans la facilité, pour préserver la diversité, les marges, les expérimentations, les émergences, la complexité afin d’éviter que nous regardions tous le même film, tous le même spectacle, et que nous écoutions tous en boucle la même musique. » (source)
Dans la pétition déposée par Catherine Blondeau, directrice du Grand T, théâtre de Loire-Atlantique, on peut lire : « Nous dénonçons l’incohérence d’une politique régionale qui dénature par ses choix dangereux ses trois priorités politiques : la jeunesse, l’emploi et la transition écologique.
Nous dénonçons une dialectique visant à créer de la division au sein de la société, à désigner les bonnes et les mauvaises manières de produire de la vie artistique et culturelle, alors que c’est la combinaison d’un secteur public de la culture en bonne santé avec des industries culturelles dynamiques qui fait la richesse et la variété du tissu culturel français. »
La pétition accessible ici, recueille au moment de la publication de cet article plus de 49 200 signatures.
47,1 milliards d’euros, un oubli de taille ?
En 2013, Aurélie Filippetti alors ministre de la Culture avait commandé un rapport sur « le poids de la culture dans l’économie » et soulignait que « Pour les territoires, investir dans la culture permet de relancer une attractivité, une économie, une image, qui génèrent des investissements dans d’autres secteurs de l’économie, et cela crée de l’emploi.
La culture est sous-estimée dans son apport à l’économie globale. C’est pourquoi je mets l’accent sur ce formidable levier de développement. En période de crise, où l’on doit justifier les investissements publics, je souhaite montrer que la culture ne se résume pas à des subventions qui tombent comme une manne pour des activités de divertissement, mais qu’il s’agit d’un investissement qui rapporte. » (source)
Si Christelle Morançais parle de « crise permanente » le dernier rapport des Statistiques ministérielles de la Culture, daté du 30 juin 2024, fait état du poids économique direct de la culture en 2022 « c’est-à-dire la valeur ajoutée de l’ensemble des branches culturelles, s’établit à 47,1 milliards d’euros, soit 2,0 % de l’ensemble de l’économie, contre 2,1 % en 2021. » (source)
Une note de conjoncture publiée par le Département des Études, de la prospective, des statistiques et de la documentation du ministère de la Culture précise qu’au « deuxième trimestre 2024, le chiffre d’affaires en valeur des secteurs culturels marchands progresse sur un an de 1,14 Md€, soit une évolution de + 5% par rapport au deuxième trimestre 2023’. Le chiffre d’affaires mesuré en volume est ‘quasi stable’ (+ 1%). » (source)
« Aucune autre région n’a fait de tels choix à l’échelle nationale » : un laboratoire politique ?
Dans la pétition déposée par Catherine Blondeau on peut également lire : « ll serait donc question d’une coupe drastique allant jusqu’à 73% du budget de fonctionnement de la culture, interrompant totalement dès 2025 les subventions allouées aux festivals, aux théâtres, aux musées, aux opéras, aux maisons d’auteur·rices, aux centres d’art, aux productions audio-visuelles, aux artistes, mais aussi aux clubs sportifs et aux associations œuvrant pour l’égalité Femme/Homme et la solidarité. C’est un coup porté à la société civile tout entière. Aucune autre région n’a fait de tels choix à l’échelle nationale. »
Une remarque qui fait écho au portrait de Christelle Morançais par Valérie Trierweiler dans la revue L’Hémicycle où on peut lire page 70 « La région : le meilleur laboratoire pour tester des mesures avant de les lancer à grande échelle. » (source)
Pour celle qui a été l’un des soutiens de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2011 et qui, aujourd’hui, vient de rejoindre le parti Horizons d’Edouard Philippe, ce positionnement contre le monde culturel et associatif a tout d’une démonstration de force politique sous couvert d’une réflexion économique.
Pour aller plus loin :
✍️ La pétition mobilisation des artistes et professionnels de la culture contre les sévères coupes budgétaires envisagées par la Région
🔎 Quelles sont les structures concernées par les coupes budgétaires ?
👥 Le collectif Culture en Lutte Pays de la Loire
Illustration principale : Photo libre d’utilisation de Kaboompics sur Pexel
Thomas Mourier, le 1/12/2024