Avec Ballades, Camille Potte esquisse son heroic-loufoquerie
Pas de kwak pour Camille Potte qui débarque avec un premier album peuplé de grenouilles mélomanes, d’andouilles bavardes, de princesses rebelles et de sorcières caractérielles. En s’amusant avec les codes du conte de fées et de l’imaginaire médiéval, l’autrice s’amuse à questionner notre époque à travers les questionnements ou révoltes de ses personnages.
Ce vendredi 15 novembre, Camille Potte a reçu le prix Toute première fois remis par le festival BD Colomiers, un prix qui récompense les premiers albums et met en avant de jeunes auteurices. Elle succède à Martin Panchaud (voir son interview) en 2022 et Lika Nüssli l’an dernier.
Ballades s’ouvre sur une bande de grenouilles qui barbotent, chantent et s’interrogent sur l’étrange grenouille poilue qui sanglote à côté. Un prince maudit qui doit retrouver son trône. Le chapitre suivant rejoue le sauvetage de princesse dans son donjon gardé par un dragon. La chevalière, ou plutôt chevalyère, doit la ramener pour la marier au prince. Un 3e chapitre présente la sorcière et sa voisine naturiste qui voudraient ne pas s’immiscer dans les affaires du royaume. Le royaume viendra à elles.
Ces 3 contes indépendants vont progressivement se mêler pour en raconter un 4e plus moderne, où le prince Gourignot de Faouët, écarté du trône par cette transformation en batracien, va partir en guerre contre son peuple et sa propre famille pour asseoir son pouvoir. Ce sera sans compter les embûches, les complots, les réunions secrètes et la révolte qui gronde.
Balade visuelle & ballades sonores
Si les personnages déambulent dans la campagne, il est surtout question de ballades, au sens du poème médiéval qui comporte un refrain, un envoi. Ballade au sens musical, puisque ce genre littéraire s’accompagne d’un rythme, d’une musicalité et rejoint l’univers musical dont Camille Potte s’est fait une spécialité.
Si Ballades est son premier album dans le circuit des librairies, la dessinatrice a réalisé pas mal de fanzines et est active dans le milieu musical avec l’illustration de flyers, affiches et designs. Un milieu où elle travaille son trait élastique, les démarches de ses personnages qui rejoignent le club des héros de Robert Crumb et s’essaye à des cadrages impossibles et des jeux de couleurs tranchées. Travail graphique éclectique, mais aussi de typos qui ont une place importante dans ses designs et illustrations et qu’on retrouvera aussi dans Ballades.
Mais revenons à nos poèmes du moyen âge qui servent de point d’appui à cet album peuplé de grenouilles qui se prennent pour des ménestrels et où le travail sur les dialogues s’amuse de ces ballades ou chansons de geste pour mettre en lumière les hauts faits de personnages grotesques. Incarné par le ménestrel insupportable, par les grenouilles mélomanes ou encore les dialogues où l’autrice joue avec un vieux françoys imaginaire, ce va-et-vient ludique nous embarque dans son univers décalé.
Les planches sont pleines d’idées visuelles et de petites bulles intempestives, qui viennent répéter, scander, décaler à la manière de celles que mettait Greg dans Achille Talon pour soutenir la logorrhée assumée des personnages. Si on y croise des « meryde ! » face à des doigts d’honneur, des « meuvez vous le derche » face à des « ah supeyre », la narratrice propose un joyeux mélange d’argot revisité, de quelques mots surannés, d’inventions anachroniques et de jeux de mots foireux pour jouer avec les codes et notre imaginaire de cette langue encore présente dans les textes de Rabelais ou les poèmes de François Villon.
Vadrouille visuelle & ritournelle fictionnée
Avec ce conte médiéval fantastique décalé, la dessinatrice parle d’émancipations, celle des femmes qui chacune à leur manière vont se rebeller, s’extraire ou se regrouper pour lutter contre un patriarcat et un sexisme particulièrement fort dans ces imaginaires. Avec plusieurs portraits : de la princesse à la chevalière en passant par la sorcière, ces figures incarnent différentes facettes des luttes féministes.
Mention particulière pour la sorcière qui préexiste à cet album —au cœur d’un récit court Les Sorcières publié en 2021 chez Phenicusa Press— et qui va avoir une importance dans ces jeux de transformations des protagonistes.
Chaque personnage à sa propre évolution autour de l’acte symbolique de la malédiction qui a changé le prince en grenouille. Et tout le plaisir de ces changements graphiques joue à la fois sur l’inversion des idées reçues et celle du cheminement interne des personnages qui prend le conte traditionnel à contre-pied. Son trait rond, étiré, qui s’accommode des pensées ou de la forme de la case comme dans les albums des années « 70 participe beaucoup à cette mise en lumière.
Camille Potte a un dessin qui cherche vers le burlesque et évoque les approches graphiques de Jean-Claude Poirier, F’Murr ou Mordillo pour décaler sans caricaturer, un style élastique qui convient aussi bien aux trognes des humains qu’aux animaux fantasques.
Dérapage contrôlé pour ces Ballades au refrain décalé, et ces personnages immédiatement attachants par leur bêtise et leurs designs fantasques. Un prix Toute première fois bien mérité pour mettre la lumière sur le travail de cette autrice à suivre.
Thomas Mourier, le 18/11/2024
Camille Potte - Ballades - éditions Atrabile
Toutes les illustrations sont © Camille Potte / Atrabile
-> Les liens renvoient sur le site Bubble où vous pouvez vous procurer les ouvrages évoqués.