L'AUTRE QUOTIDIEN

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"La fin de votre mandat ne suffirait pas à éteindre ce que vous embraseriez à Notre-Dame-des-Landes"

Alors que nous écrivons ces lignes, le bruit de l'hélicoptère tente de briser notre concentration. Il tourne, désormais quotidiennement, là-haut où les avions ne volent pas, répandant sa rumeur de guerre et de reconquête. César1 guette et cherche à impressionner. Parfois il se met légèrement sur le flanc, pour nous mieux observer. Est-il surpris par la ronde des tracteurs qui depuis quelques jours déposent des balles de foin aux carrefours ? Par ces comités de soutien qui viennent repérer les lieux les plus stratégiques où ériger leurs barricades ? Par les formations qui chaque fin de semaine regroupent plus de cent personnes venues se préparer aux expulsions annoncées ? Peut-être l'est-il davantage encore de tous ces gestes qui perdurent. Sylvie et Marcel qui soignent leur troupeau, les moissons du sarrasin, un fest-noz célébrant la récolte de patates, quatre-vingt charpentiers bâtissant l'ossature d'un gigantesque hangar ou une bibliothèque tout juste inaugurée. Son regard peut-il embrasser avec les 2000 hectares toute la richesse de la vie qui les peuplent ? Celle qu'il prétend détruire dans le mois à venir...

Les préparatifs d'une nouvelle opération d'occupation et de destruction du bocage à sept mois des élections présidentielles ont quelque chose d'irréel. Après un printemps de grèves, de blocages économiques, d'agitation de rue contre la loi travail, en plein état d'urgence, quel serait l'enjeu de transformer ce coin de campagne mais aussi la ville de Nantes en véritables poudrières ? Ce n'est certes pas seulement pour construire un aéroport de plus et ainsi honorer les « accords public-privé » avec la multinationale Vinci. S'il est vital pour les gouvernants d'écraser la zad, c'est qu'elle constitue une démonstration insolente d'une vie possible sans eux. Et d'une vie meilleure. À l'heure où la seule prise politique qui nous est proposée consiste à choisir, le nez bouché, le moins pire des affairistes en mesure de battre le FN (mais d'en appliquer le programme), le surgissement d'un territoire hors et contre le principe même de gouvernement leur est insupportable.

Car ici, l'expression « zone de non droit », qu'ils voudraient effrayante, a pris une acception radicalement positive. Contrairement à ce qui a lieu dans les rues des villes « policées », à la zad, personne ne dort dehors et chacun mange à sa faim. De grands dortoirs accueillent les arrivants, un « non-marché » hebdomadaire propose les légumes, la farine, le lait, le pain et les fromages produits sur place, sans qu'un prix ne vienne en sanctionner la valeur. Dans les nombreuses infrastructures collectives, mais aussi dans les échanges ou les travaux collectifs, les relations se basent sur la confiance et la mise en commun, à l'envers des logiques ayant cours qui s'appuient sur le soupçon et l'individualisme. Ce que les cyniques de tous bords taxent d'utopie irréalisable est éprouvé dans les gestes et la matière. Même l'absence de police et de justice - les gendarmes ne fréquentant plus la zone depuis 2013 - n'a pas produit le chaos que d'aucuns auraient imaginé et souhaité. Les opposants à l'aéroport ont démontré qu'ils étaient capables de vivre ensemble sans aucune tutelle les surplombant. Une communauté de lutte a donc patiemment vu le jour, nouant des liens tissés pour résister aux attaques comme au pourrissement. Tout ceci ne va pas sans heurts, évidemment, si déshabitués que nous sommes à décider nous-mêmes de nos devenirs. Nous réapprenons, nous apprenons, et rien n'est plus joyeux et passionnant que de se plonger dans cet inconnu.

C'est pour toutes ces raisons que la zad représente une véritable expérience révolutionnaire, de celles qui redessinent radicalement les lignes de conflit d'une époque. Le mouvement anti-aéroport s'étend aujourd'hui dans des pans de la société habituellement plus sensibles au chantage à l'emploi et à la crise qu'à la défense d'un bocage. Les salariés de Vinci, mais aussi de l'actuel aéroport, ont clairement exprimé, via leurs sections CGT, qu'ils rejoignaient la lutte et ne seraient jamais des « mercenaires ». De même, les lycéens et étudiants mobilisés au cours du mouvement contre la loi travail s'apprêtent à bloquer leurs établissements dès l'arrivée des troupes. Trop d'espoirs sont condensés ici pour que nous puissions être vaincus, il en va de notre avenir, de nos possibilités d'émancipation. Nombreux sont ceux qui le pressentent, se tenant prêts à transformer la bataille de Notre-Dame-des-Landes, si elle a lieu, en véritable soulèvement populaire, capable de rabattre l'arrogance d'un État qui pense pouvoir impunément casser les travailleurs, précariser la population, mutiler les manifestants, tuer Rémi Fraisse, Adama Traoré et tant d'autres, donner un blanc-seing à sa police et continuer allègrement sa chasse aux migrants.

Face à leurs fusils semi-létaux, face à leurs blindés à chenilles, nous aurons les armes séculaires de la résistance : nos corps, des pierres, des tracteurs et des bouteilles incendiaires, mais surtout notre incroyable solidarité. Peu importe que la partie soit inégale, elle l'était tout autant en 2012, quand après des semaines dans la boue, derrière les barricades, nous leurs avons finalement fait tourner les talons. Il y a quelques semaines déjà, alors que sous le hangar de la Vacherit l'assemblée du mouvement touchait à sa fin, un octogénaire se lève, un éclat de malice dans le regard et des cartons plein les bras. Il déballe fièrement les mille lance-pierres qu'il a fabriqués avec quelques complices pour projeter des glaçons de peinture. Tous rient, mais en essaient l'élastique. Car s'il faut à nouveau prendre les sentiers de la guerre pour défendre ce bocage, nous serons nombreux à le faire, ici, partout. C'est ce que nous avons affirmé ensemble une fois de plus lors de la grande manifestation du 8 octobre. Brandissant nos bâtons, nous avons scellé ce serment : nous défendrons ce bocage comme on défend sa peau ; policiers, soldats, politiciens, vous pouvez venir raser les maisons, abattre le bétail, détruire les haies et les forêts, ne vous y trompez pas : la fin de votre mandat ne suffirait pas à éteindre ce que vous embraseriez à Notre-Dame-des-Landes.

Collectif Mauvaise Troupe

https://constellations.boum.org/


Nos commentaires : 

Aujourd'hui, L'Autre Quotidien vous annonce l'avenir : c'est à la ZAD que va se jouer la fin du quinquennat Hollande. Il convient donc, pour tous ceux qui se sont intéressés à la Nuit Debout, ont participé au mouvement contre la loi Travail, n'en peuvent plus de cette société, de se remobiliser autour de la défense de la ZAD, que Manuel Valls-t-en-guerre, avec son habituel cynisme, s'apprête à faire évacuer avec une mobilisation sans précédent de forces de répression, après des affrontements dont il y a tout lieu de redouter qu'ils causent encore des morts inutiles, de nouveaux Remi Fraisse, des policiers blessés ou pire - ce que ce monstre qui se prétend républicain attend, comme il attendait les affrontements de l'hôpital Necker, comme son prédécesseur et alter ego Nicolas Sarkozy attendait les incidents aux Invalides après les manifestations contre le CPE.

Nous ne voulons pas cette violence que Manuel Valls s'apprête à déchaîner. Sans présence de la police sur place, il n'y a eu aucun incident, pas un, lors de la dernière manifestation à Notre Dame des Landes, où il y avait pourtant 40.000 manifestants.

Pourquoi fait-il ce choix, contre l'avis de beaucoup de gens de son camp, et même de son gouvernement ? Pour une raison très simple : Manuel Valls n'a rien à faire de la construction ou non d'un aéroport de plus à Nantes. Il s'en moque complètement. Ce qu'il cherche à se bâtir, c'est une réputation de premier flic de France, plus dur encore que Sarkozy (jamais on n'a autant matraqué le manifestant, traqué le syndicaliste, emprisonné l'opposant en France que sous son commandement), pour prendre de force une bonne fois le PS après les Présidentielles, et l'emmener derrière lui à droite toute. NOUS LA GAUCHE (entendu au sens le plus large, le plus banal, mais le plus communément compris, donc nous l'utilisons ici) sommes les ennemis dont Manuel Valls veut la tête. Qu'il souhaite écraser.

A Nicolas Sarkozy, nous étions indifférents tant qu'il gouvernait à sa guise. Mais Manuel Valls sait qu'il ne sera jamais au pouvoir tant que nous serons là, à démasquer son imposture. Il nous hait. Nous ne lui rendons bien. Il veut nous attaquer encore. Nous le lui rendrons bien aussi.

L'Autre Quotidien
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