L'AUTRE QUOTIDIEN

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Le contrôle (et la radiation) des chômeurs au coeur de la nouvelle société macronienne

La réforme du chômage et de la formation professionnelle sont l'une des grandes réformes programmées par Macron. Au coeur du nouveau système, le contrôle des chômeurs, qui doit inciter les personnes privées d'emploi à accepter rapidement un nouveau poste. Mais à quelles conditions ? Le gouvernement vient de publier un décret au Journal officiel comportant de nouvelles sanctions à l’encontre des demandeurs d’emploi, parfois très éloignées du premier projet annoncé en mars. mais était-ce vraiment une surprise ? Nous ne le pensons pas. Nous pensons même qu’on n’a pas encore tout vu. Ce n’est qu’un début.

Prenez une mesure coercitive comme le renforcement des sanctions contre les chômeurs et enrobez-la d'un peu de poudre aux yeux. C'est exactement l'opération annoncée par Emmanuel Macron pendant sa campagne, que sont chargés de mettre en musique le premier ministre et la ministre du travail. Vous voulez faire passer la pilule ? Parlez d'allocations chômage pour tous, de nouveaux droits, d'extension de la couverture chômage, d'universalisation etc. Avec une contrepartie : le renforcement des contrôles afin de débusquer les fraudeurs. Ajoutez quelques olibrius vous expliquant que le chômage c'est bien, mais pas pour partir en vacance deux ans (Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement) et en plus aux Bahamas (le député LREM Damien Adam). Rajoutez l'illusion d'une négociation ouverte entre partenaires sociaux et vous avez tous les ingrédients d'un storytelling comme on les aime à l'Elysée.

Alors ces fameux droits nouveaux ? L'indemnisation des démissionnaires, dans les faits, est réduite à la portion congrue. Ce sont tout au plus 20 000 à 30 000 personnes par an qui bénéficieront de ce droit nouveau. Sur plus de 28 millions d'actifs, c'est peu. Car les conditions de mise en oeuvre sont draconiennes. Pour toucher l'allocation de retour à l'emploi (AREP), il vous faudra avoir cotisé cinq ans, avoir un projet professionnel validé par un conseiller en évolution professionnel et respecter scrupuleusement sa mise en oeuvre. En revanche, vous serez indemnisé au même montant que n'importe quel autre chômeur et pour la même durée. Soit deux ans et trois ans pour les seniors. Le coût de cette mesure rabougrie : 180 millions d'euros.

Pour les indépendants, ça se corse. Là encore un droit bien amoindri, limité à 800 euros sur six mois. Pas plus de 29 000 d'entre eux ne pourront en bénéficier chaque année. Et pour cause. Ils devront d'abord s'être déclarés en faillite judiciaire et avoir réalisé un bénéfice annuel d'au moins 10 000 euros précédemment. Tout cela pour une sorte de RSA amélioré. Ce sont surtout des agriculteurs, des commerçants et des artisans, qui devraient en bénéficier. Pour ce qui est des travailleurs des plateformes type Uber ou Deliveroo, qui sont totalement dépendants de leur donneurs d'ordre, leur sort sera évoqué ultérieurement. Cette couverture chômage ne coûtera rien aux indépendants concernés car elle sera financée par la CSG. Là encore, le coût de cette mesure devrait être limité.

L'universalisation de l'assurance chômage, promise par le gouvernement, se fait donc a minima. Pour Denis Gravouil de la CGT, l'indemnisation des démissionnaires et des indépendants est surtout "un alibi", tout comme la négociation sur les contrats courts (moins d'un mois) renvoyée à un hypothétique accord au niveau des branches, alors que la perspective d'un bonus malus pour les mauvais élèves, promise, par le gouvernement semble plutôt "floue". Le négociateur CGT sur le dossier chômage craint surtout que la protections light voulue pour les indépendants ne nous emmène "vers un changement de modèle social où l'indemnisation du chômage serait réduite à un simple filet de sécurité".

Le contrôle des chômeurs sera en tout cas nettement renforcé. Les effectifs des contrôleurs de Pôle emploi passeront donc de 200 aujourd'hui à 600 fin 2018 et à 1 000 d'ici 2020. Objectif : traquer les fraudeurs. Pourtant, depuis la création d'un corps de contrôleurs chez Pôle emploi, fin 2015, par François Rebsamen, ministre du travail sous Hollande, 270 000 chômeurs ont été contrôlés, soit près de 140 000 par an. Le gouvernement veut augmenter ce chiffre afin de traquer les chômeurs qui n'effectueraient pas suffisamment d' "actes positifs de recherche d'emploi". Inacceptable pour la CGT et FO qui rappellent que dans la loi de finances 2018, 300 postes de conseillers en CDI ont été supprimés chez Pôle emploi.

Le gouvernement a aussi annoncé l'expérimentation dans deux régions d'ici 2019 d'un "carnet de bord numérique" pour les chômeurs. Chaque chômeur devrait renseigner dans ce carnet numérique l'ensemble des démarches accomplies dans le mois pour retrouver un emploi avant de s'actualiser sur le site de Pôle emploi. Denis Gravouil craint que ce fichier numérique ne pénalise les chômeurs les moins à l'aise avec l'informatique ou l'écrit, ainsi que les démarches informelles qui sont souvent plus efficaces que l'envoi d'un CV. "Ca peut être compliqué, explique le négociateur CGT, comment prouver que vous avez passé un coup de téléphone à untel ou déjeuné avec tel autre ?". Pour Michel Beaugas, le négociateur de FO, le risque est que sans avoir rempli ce carnet il ne soit pas possible de s'actualiser sur le site de Pôle emploi, donc de toucher son allocation. Un point inacceptable pour ces deux syndicats.

Mais le contrôle des chômeurs ira plus loin encore. La ministre du travail prétendait sur Europe 1 qu'il ne s'agit pas d'instaurer "un contrôle bureaucratique mais humain". Dans les faits, suivant les mesures annoncés lundi dernier par le gouvernement, le barème des sanctions sera renforcé. Aujourd'hui, un chômeur absent à un rendez-vous avec Pôle emploi est sanctionné de deux mois de radiation, ce qui suspend (mais ne supprime pas) son indemnisation pendant cette période. Un chômeur qui n'effectue pas ou pas suffisamment de démarches de recherche d'emploi est lui sanctionné pendant quinze jours. "Pas logique" pour le gouvernement qui voudrait réduire à quinze jour la radiation en cas d'absence à un rendez-vous mais renforcer les sanctions pour ceux qui ne recherchent pas suffisamment ou qui refusent deux offres d'emploi raisonnables, ces fameux "fraudeurs", selon le gouvernement.

La réforme prévoit donc qu'une insuffisance de recherche active d'emploi sera sanctionnée d'un mois de radiation, avec suspension puis reprise du versement de l'allocation à la fin de ce délai. Au deuxième manquement, la radiation serait de deux mois et l'allocation totalement supprimée pour cette période, jusqu'à quatre mois de suppression de l'indemnisation à la troisième sanction. Un durcissement qui peut aller jusqu'à la radiation définitive. Autre point qui fait bondir FO et la CGT, la décision de réduire ou supprimer l'allocation ne serait plus prise par le préfet, mais directement par Pôle emploi. Un mélange des genres que dénonce Denis Gravouil de la CGT, pour qui "Pôle emploi serait juge et partie" et qui se traduirait par "des sanctions plus rapidement mises en oeuvre".

Autre point crucial de ce renforcement du contrôle des chômeurs, la définition de l' "offre raisonnable d'emploi" (ORE). Aujourd'hui, celle-ci est encadrée strictement par la loi. "Est considérée comme raisonnable l'offre d'un emploi compatible avec les qualifications et compétences professionnelles [du chômeur] et rémunéré à au moins 95 % du salaire antérieurement perçu. Ce taux est porté à 85 % après six mois d'inscription. Après un an d'inscription, est considérée comme raisonnable l'offre d'un emploi compatible avec les qualifications et les compétences professionnelles du demandeur d'emploi et rémunéré au moins à hauteur du revenu de remplacement", selon l'article L 5411-6-3 du code du travail. Le gouvernement, qui parle d' "intelligence" et d' "humanité", souhaite désormais que l'offre raisonnable d'emploi soit définie de façon personnalisée entre le chômeur et son conseiller Pôle emploi.

Pour Michel Beaugas, de FO, l'individualisation de l'ORE pourrait se révéler "piégeante", le risque étant que le demandeur d'emploi soit incité à "accepter une offre d'emploi raisonnable à des conditions minorées pour retrouver plus rapidement du travail", par exemple un CDD à temps partiel. Et qu'on aboutisse dans les faits à un "faux volontariat". Pour Denis Gravouil, il s'agit tout simplement de "forcer les gens à accepter des emplois précaires et mal payés".

"On risque de se contenter de déplacer les gens dans la file d'attente du chômage et de simplement accélérer leur turn over chez Pôle emploi" accuse pour sa part Jacqueline Balsan. La présidente du mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP), l'une des organisation de chômeurs dont aucune n'a été conviée aux négociations, redoute que les personnes ayant des compétences acceptent des emplois dégradés, ce qui ne fera que "renforcer les difficultés des moins qualifiés", prévient-elle. "J'ai vu des architectes prendre des boulots de veilleurs de nuit", dénonce Jacqueline Balsan. Or, l'INSEEE a déjà mis en évidence cet effet pervers dans une étude qui évaluait en 2001 les effets de la dégressivité des allocations chômage.

Comme Denis Gravouil, qui dénonce une logique de "suspicion et de coercition",  la présidente du MNCP rappelle que, selon les chiffres officiels des contrôles réalisés par Pôle emploi auprès des demandeurs d'emploi, sur 270 000 contrôles effectués seuls 14% ont débouché sur une radiation. Sur ces 14% de radiés et sanctionnés à 97% par deux semaines de radiation, 7% ont introduit un recours et 68% se sont réinscrits ensuite. Plus globalement, "le nombre de vrais tricheurs est marginal (...) Selon Pôle emploi, cela représente seulement 0,4 % des cas » rappelait Jean-François Foucard de la CGC le 18 mars dernier, dans les colonnes du Parisien. Selon la présidente du MNCP, les contrôles ne sont pas toujours aléatoires. Ils résultent parfois de dénonciations. Elle met en cause certains opérateurs privés de placement (OPP), grassement payés par l'Etat et dont les résultats ne sont pas meilleurs que ceux de Pôle emploi, qui seraient tentés de dénoncer les chômeurs les moins faciles à recaser...

Mais un autre chiffre aurait dû attirer l'attention : sur les 14 personnes radiées -sur 100 contrôles effectués-, seuls 40 % étaient encore indemnisées. Les autres, soit 23%, relevaient du régime de solidarité (ASS) et 36% ne touchaient plus rien. Pas certain, donc, que les sanctions soient efficaces envers ces personnes qui n'ont, dans les faits, plus aucun intérêt à rester inscrits comme demandeurs d'emploi. "Ceux-là risquent de disparaître des écrans radars", relève Denis Gravouil, qui redoute que le seul objectif du gouvernement soit de radier massivement pour faire baisser les chiffres du chômage. Une crainte que partage Jacqueline Balsan du MNCP, reçue par Marc Ferracci, conseiller spécial auprès de Muriel Pénicaud et proche d'Emmanuel Macron, le 13 mars dernier. "Il nous a parlé de "remobilisation", mais il s'agit bien d'un contrôle et de sanctions totalement inacceptables", explique la présidente du MNCP. Elle redoute que les gens ne s'inscrivent plus à Pôle emploi, à l'instar de "ceux qui refusent le RSA parce que c'est trop compliqué ou qu'il y a trop de contrôle et qui préfèrent vivoter en cumulant des petits boulots au black pour 600 euros par mois".

Pour Jacqueline Balsan, qui déplore le manque de moyens dévolu à l'accompagnement des chômeurs, "tout passera désormais par des algorithmes et ce sera terrible". Or, rappelle la présidente du MNCP, de nombreux demandeurs d'emploi ne maîtrisent pas suffisamment l'informatique ou la langue française. Jacqueline Balsan trouve "inimaginable qu'on s'attaque aux personnes les plus faibles" et prévient que "les chômeurs devront se monter prudents avant de définir et valider leur projet personnalisé d'accès à l'emploi (PPAE) avec leur conseiller Pôle emploi".

Denis Gravouil (CGT) met aussi en garde contre la stratégie du gouvernement. Une fois les mesures de contrôle introduites dans la loi, il suffirait de simples décrets -qui contrairement aux lois ne sont pas discutées dans l'hémicycle- pour les rendre encore plus restrictives. Il résume cette stratégie à "la fable de la grenouille". Si l'on plonge subitement le batracien dans de l'eau chaude, il s'échappe d'un bond ; alors que si on plonge l'animal dans l'eau froide et qu'on porte très progressivement l'eau à ébullition, la grenouille s'habitue à la température pour finir ébouillantée.

Véronique Valentino