L'AUTRE QUOTIDIEN

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Déclaration au tribunal du dirigeant syndical Lee Cheuk-yan, emprisonné à Hong Kong

«J’ai néanmoins choisi de vivre dans la vérité». Voici le texte intégral de la déclaration au tribunal présentée par Lee Cheuk-yan le 24 mai, pour son affaire relative au rassemblement non autorisé du 1er octobre 2019. L’affaire est en attente de jugement le 28 mai 2021. En avril, le secrétaire général de la confédération des syndicats indépendants de Hong Kong (HKCTU), a déjà été condamné à 14 mois de prison pour son rôle dans l'organisation de manifestations pacifiques en faveur de la démocratie en août 2019. Huit autres personnes avaient également été condamnées.

Votre Honneur,

Il est bien connu, comme votre Honneur l’a déjà clairement indiqué, qu’une décision de condamnation ou de sentence doit être basée sur la loi et non sur la politique. Je souhaite néanmoins présenter les observations suivantes pour aider cette honorable Cour à comprendre les convictions politiques qui sous-tendent les événements de la présente affaire, que je qualifierais de manifestation pacifique du 1er octobre 2019.

En 1975, j’ai été admis à étudier au département de génie civil de l’Université de Hong Kong. Comme beaucoup d’étudiant·e·s universitaires de ma génération, j’ai été profondément influencé par le mouvement étudiant de l’époque qui prônait «Connaître la Chine et s’occuper de la société». J’ai commencé à réfléchir à ma responsabilité envers la société et mon pays.

Je me souviens encore d’une des propositions de l’époque, «Quel avenir pour la Chine?». Cette question a suscité d’innombrables réflexions au fil des ans et est restée pertinente jusqu’à aujourd’hui. Elle a semé les graines de mes 40 années suivantes d’engagement dans la recherche d’une voie à suivre pour la Chine.

Après avoir obtenu mon diplôme, je me suis consacré au mouvement ouvrier et démocratique et j’ai participé à des campagnes en faveur des droits humains en Chine. Je suis en effet fermement convaincu que la réforme démocratique est la réponse à la question de l’avenir de la Chine.

Le mouvement civique chinois de 1989, en particulier, a changé ma vie. Au début, je me suis engagé dans la mobilisation d’un soutien de Hong Kong à ce mouvement et j’ai aidé à fonder l’Alliance de Hong Kong pour le soutien des mouvements démocratiques patriotiques de Chine (HKA).

Plus tard, le 30 mai 1989, j’ai apporté une partie des dons collectés par HKA sur la place Tiananmen à Pékin, où j’ai rendu visite aux étudiant·e·s, aux travailleurs et travailleuses et aux intellectuels du mouvement.

La nuit des évènements du 4 juin, on m’a fait partir car j’avais entendu dire que l’armée était sur le point d’évacuer la place Tiananmen par la force.

Toute la nuit, j’ai entendu des coups de feu depuis mon hôtel. J’ai vu des chars entrer sur la place Tiananmen aux premières heures du jour et des tricycles passer devant mon hôtel de l’avenue Chang’an, transportant sans arrêt des cadavres et des blessés. Le 5 juin 1989, j’ai été arrêté et placé en détention, et les trois jours suivants ont été les plus effrayants de ma vie.

Heureusement, des Hongkongais sont venus à mon secours et j’ai pu rentrer à Hong Kong le 8 juin 1989. Mon espoir et mon optimisme pour une Chine démocratique se sont brutalement transformés en désespoir. Je crois que beaucoup de Chinois et de Hongkongais de l’époque ont partagé mon sentiment, mais nous n’avons pas abandonné. Nous avons lutté contre vents et marées dans l’espoir d’une Chine libre et démocratique.

Depuis lors, le jour de la fête nationale, qui tombe le 1er octobre de chaque année, aucune célébration officielle n’a été organisée. Nous n’avons pu nous empêcher d’exprimer douloureusement notre chagrin face à la tragédie nationale.

Le 1er octobre 2019, nous avons accompli les mêmes rituels que d’habitude dans les rues, formulant les mêmes revendications que les victimes des évènements du 4 juin 1989 soient vengées, et nous avons appelé à l’établissement de la démocratie.

Votre Honneur, pendant plus de 40 ans, j’ai lutté pour une réforme démocratique en Chine. C’est mon amour non partagé, l’amour pour mon pays avec un cœur si lourd.

Je me souviens d’une citation douloureuse de Bai Hua, un écrivain emblématique de l’ère de la «littérature des cicatrices» en Chine: «Vous aimez votre pays, mais votre pays vous aime-t-il?»

Récemment, le terme «patriote» a été largement discuté à Hong Kong, le gouvernement chinois prônant la «domination de Hong Kong par les patriotes». Cependant, qui est un vrai patriote? Si l’amour du pays signifie l’amour du Parti communiste chinois (PCC), la réponse aurait été beaucoup plus facile car les principes politiques du PCC impliquent une obéissance absolue. Un célèbre dicton dit que soutenir le PCC signifie «mettre en œuvre quand on a compris, mettre en œuvre quand on n’a pas compris, et comprendre en profondeur quand on met en œuvre», ce qui, je crois, explique tout.

Pourtant, j’ai choisi de vivre dans la vérité et de persister à penser comme je le fais. Selon ma propre définition, le patriotisme consiste à aimer son peuple. La fonction de l’Etat est de protéger la liberté et la dignité de son peuple, mais pas de contrôler son esprit et son comportement.

Votre Honneur, c’est la voie de la démocratie que j’ai choisie. Pendant toutes ces années, je suis descendu dans la rue et je suis toujours resté fidèle à mes idées et à mon engagement initial.

Lee Cheuk-yan

 (Traduction: Union syndicale Solidaires)