L'AUTRE QUOTIDIEN

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Le proxénétisme de la prostitution : pour en finir avec le mythe de la travailleuse sexuelle

« Je crois honnêtement que ça arrête le viol », m'a dit Benjamin. « Ça permet aux hommes de se défouler et de satisfaire nos pulsions naturelles ». Benjamin parlait des avantages de la prostitution. C'est une bonne chose pour les femmes, a-t-il fait valoir, car plutôt que de violer, les hommes peuvent avoir des rapports sexuels comme et quand ils le veulent en payant une femme prostituée. Pour les hommes, cela assure la satisfaction de leurs besoins. De l'avis de Benjamin, tout le monde est heureux. C'est pourquoi la recherche récemment publiée sur les hommes qui paient pour avoir des rapports sexuels, par Demand Abolition (DA), un groupe US qui lutte contre l'exploitation sexuelle, est à la fois opportune et essentielle.

Mais ses affirmations sont aussi éloignées que possible de la réalité du commerce du sexe. Les hommes ne sont pas programmés pour violer s'ils n'ont pas un accès immédiat au sexe, et il n'existe pas de "droit" au sexe. « Lorsque les hommes prétendent que la prostitution réduit le viol », dit Fiona Broadfoot, une rescapée du commerce du sexe, « ce qu'ils veulent vraiment dire, c'est qu'il est acceptable de violer des femmes prostituées, et c'est ainsi que nous vivons le sexe avec des jules. La prostitution, c’est du viol » .

Au cours des deux dernières décennies, j'ai interviewé des dizaines d'hommes qui paient pour des services sexuels dans des bordels légaux et des salons de massage illégaux, et dans la rue. J'ai entendu toutes les justifications de ces hommes, y compris celle d'aider les femmes à nourrir leurs enfants avec l'argent échangé contre des services sexuels. Bien que la prostitution - tant l'achat que la vente de services sexuels - soit illégale dans la plupart des États-Unis, très peu d'acheteurs de services sexuels sont arrêtés. Les femmes prostituées, en revanche, sont lourdement et injustement criminalisées, malgré les preuves que la grande majorité d'entre elles sont forcées au commerce du sexe et exploitées.

Le Nevada est le seul État où la prostitution - y compris le proxénétisme, la possession de maisons closes et l'achat de services sexuels - est légalisée. Elle n'est autorisée que dans sept de ses comtés, mais des recherches sur le commerce du sexe au Nevada montrent que la légalisation a entraîné la normalisation de la prostitution dans tout l'État. La majorité des visiteurs de Las Vegas croient que la prostitution est tout à fait légale dans la ville. Cela permet aux hommes de justifier facilement le fait de payer pour du sexe.

Alors que le débat fait actuellement rage au Nevada sur la question de savoir s'il faut ou non fermer ses bordels légaux et que les lobbyistes pro-prostitution de la ville de New York font maintenant pression pour que le commerce du sexe soit décriminalisé, il est impératif que l'attention se déplace des femmes qui vendent du sexe vers les hommes qui font la demande.

C'est pourquoi “Who Buys Sex ?”, la recherche publiée sur les hommes qui paient pour avoir des rapports sexuels, par Demand Abolition (DA), un groupe US qui lutte contre l'exploitation sexuelle, est à la fois opportune et essentielle.

Cette recherche montre que la majorité des hommes aux USA choisissent de ne pas payer pour du sexe, mais que la "normalisation rampante" du commerce du sexe conduit à l'opinion dominante que la prostitution est un crime sans victime. Et dans les pays et États où la prostitution est légalisée, les taux de trafic sexuel augmentent.

La recherche de DA est basée sur le comportement et les attitudes des clients. Plus de 8 000 hommes adultes à travers les USA ont été interrogés, et un certain nombre de rescapées du commerce du sexe ont été invitées à donner leur point de vue sur la recherche et à faire des recommandations de changement. Marian Hatcher est l'une des survivantes qui a participé à la recherche. Hatcher, défenseure des victimes au sein de la division de lutte contre la traite des personnes du bureau du shérif du comté de Cook, à Chicago, était l'une des pairs examinateurs de la recherche.

« Le rapport profite aux survivantes en reconnaissant que l'inégalité des règles du jeu doit être rectifiée et que les acheteurs doivent avoir à  rendre des comptes », dit Hatcher. « Il donne de l'espoir aux victimes et aux survivantes abolitionnistes du commerce du sexe qui en sont sorties, l'espoir qu'elles vivront dans une société qui leur offre des possibilités de sortie et qui éduque les clients potentiels sur les méfaits. J'aimerais que les recommandations politiques contenues dans le rapport s'appliquent à la fois au commerce illégal et légal du sexe. Vous ne pouvez pas avoir un impact adéquat sur l'un sans l'autre. Ensemble, ils promeuvent la marchandisation des êtres humains et la violence contre les femmes et les filles ».

Les interviews de DA ont porté sur les " facteurs d'incitation " (pourquoi les hommes paient pour avoir des relations sexuelles) et sur les moyens de dissuasion potentiels. Le groupe considère que le fait de payer pour avoir des rapports sexuels est nuisible, tant pour les femmes exploitées que pour la société en général, car une culture misogyne mondiale est du côté des clients. Il y a des similitudes universelles entre les hommes qui paient pour avoir des relations sexuelles. Les recherches que j'ai menées avec Melissa Farley, psychologue clinicienne et coordonnatrice de l'organisation non gouvernementale californienne Prostitution, Research & Education, ont révélé que chez les clients du Royaume-Uni, l'un des principaux facteurs de pression était la pression des pairs exercée par d'autres hommes, dans le contexte de la culture de l'acceptation entourant la prostitution.

La recherche menée au Royaume-Uni a conclu que même les mesures dissuasives les plus légères, comme la menace d'arrestation, le risque que des membres de la famille ou des employeurs soient informés des actes des clients ou que des détails soient ajoutés à une base de données policières, peuvent être efficaces. Mis à part les clients accors, de tels moyens de dissuasion incitent généralement les hommes à réfléchir à deux fois avant de payer pour avoir des rapports sexuels.

L’enquête de DA révèle que seulement 6% environ des hommes usaméricains qui paient pour des rapports sexuels (en dehors des zones légales du Nevada) déclarent avoir été arrêtés pour cela. Si les clients perçoivent ce risque, cela pourrait les amener à modifier leurs activités. Environ un quart des acheteurs sont "tout à fait d'accord" pour affirmer : "le risque d'arrestation est si élevé que je pourrais arrêter".

La recherche de DA a révélé que ce que le groupe a appelé les clients "à haute fréquence " représente une part disproportionnée du commerce illégal du sexe. Environ un quart des clients actifs déclarent payer pour du sexe chaque semaine ou chaque mois, et ces transactions représentent près des trois quarts du marché. Ces clients sont plus susceptibles d'avoir commencé à un jeune âge, avec l'aide ou l'encouragement de membres de leur réseau social.

Il y a beaucoup d'argent dans le commerce du sexe, dont une grande partie va aux proxénètes, aux propriétaires de maisons closes et aux trafiquants de drogue. En moyenne, les acheteurs de sexe usaméricains dépensent plus de 100 $ [=88€] par transaction. La prostitution génère d'énormes profits - estimés à 1 milliard de dollars [=880 M€] par an au Royaume-Uni et à 186 milliards de dollars [=165 M€] à l'échelle mondiale. C'est le capitalisme dans sa forme la plus impitoyable et la plus prédatrice, avec l'être humain comme produit.

Comment se fait-il alors que tant d'hommes considèrent comme le top de la liberté des femmes le fait d’être pénétrée pénétré par de multiples mâles étrangers? Et pourquoi tant d'individus et d'organisations de gauche, comme l'Organisation internationale du travail et Amnesty Internationale, ont-ils adopté la position pro-prostitution ?

Ces organisations de défense des droits humains adoptent la ligne "le travail du sexe, c'est du travail", malgré l'adoption du modèle nordique, ou, comme on l'appelle de plus en plus, du modèle abolitionniste, par la Suède, la Norvège, la Finlande, l'Irlande du Nord, la République d'Irlande, Israël et la France. Selon cette approche, les personnes prostituées sont décriminalisées et aidées à sortir du commerce du sexe, mais les acheteurs sont criminalisés. Bien que le modèle abolitionniste bénéficie d'un soutien important et croissant, ceux qui croient au droit inaliénable des hommes d'acheter du sexe le considèrent comme une abomination. Lorsque la loi a été débattue en France en 2013, un groupe d'intellectuels français de haut niveau a signé une pétition dans laquelle il était dit : « Certains d'entre nous sont allés, vont ou iront aux putes et nous n'avons même pas honte ». Et d’ajouter : «  Tout le monde devrait être libre de vendre ses charmes, et même d'aimer le faire » .

Une récente tribune libre d'un médecin sud-africain dans Teen Vogue, intitulé " Why Sex Work Is Real Work " (Pourquoi le travail du sexe est un vrai travail), affirmait que «  les clients qui fréquentent des travailleurs du sexe varient, et ce ne sont pas seulement des hommes. L'idée d'acheter de l'intimité et de payer pour les services peut être une affirmation pour de nombreuses personnes qui ont besoin de liens humains, d'amitié et de soutien affectif. Certaines personnes peuvent avoir des fantasmes et des préférences qu'elles sont capables de satisfaire avec les services d'une travailleuse du sexe ».  Outre la honte que représente pour une publication destinée aux filles et aux jeunes femmes le fait de faire la promotion de l'exploitation sexuelle à des fins commerciales comme choix de carrière viable, une telle propagande perpétue le sentiment que les hommes ont le droit d'avoir des relations sexuelles.

La poursuite du commerce du sexe repose sur la misogynie, les préjugés de classe, le racisme, le colonialisme et l'impérialisme. « Si les gens de gauche ne peuvent pas voir à quel point le commerce du sexe est néfaste pour les femmes », dit Bridget Perrier, une survivante autochtone canadienne, « on peut penser qu'ils n’ont rien à cirer du racisme et du colonialisme sur lesquels il est fondé ».

Beaucoup des 50 survivantes du commerce du sexe avec qui j'ai passé du temps en faisant des recherches pour mon livre sur le commerce mondial du sexe, "“The Pimping of Prostitution: Abolishing the Sex Work Myth,”" [Le proxénétisme de la prostitution : pour en finir avec le mythe de la travailleuse sexuelle], m'ont parlé du racisme, du sectarisme et des préjugés auxquels elles étaient confrontées en tant que femmes de couleur. En fait, de nombreuses victimes noires du commerce du sexe lient leur expérience de la prostitution à celle de l'esclavage. Vednita Carter, une abolitionniste afro-américaine du commerce du sexe, dit : « L'ère de la traite des esclaves est celle où la traite sexuelle a commencé pour les femmes afro-américaines. Même après la libération des esclaves, les femmes et les filles noires étaient encore achetées et vendues. Aujourd'hui, il y a trop de zones urbaines pauvres que les hommes de la classe moyenne traversent dans le seul but de trouver une femme ou une fille de couleur à acheter ou à utiliser ».

Aux USA, les femmes prostituées sont en nombre disproportionné de jeunes Afro-Américaines et d'autres femmes de couleur. Un client que j'ai interviewé dans un bordel légal du Nevada m'a dit que la principale raison pour laquelle il payait pour avoir des relations sexuelles était qu’il voulait « essayer différentes couleurs de poulettes sans avoir à sortir avec elles ».

« Je ne vais pas prendre une Noire ou une Latine pour rencontrer mes parents », m’a-t-il dit , « mais c'est sûr qu’elles sont chaudes pour baiser ».

Selon l'étude de DA, les acheteurs et les non-acheteurs ont des points de vue très différents sur la masculinité et l'achat de services sexuels. Les non-clients sont beaucoup plus susceptibles que les clients de dire que l'achat d'une personne pour avoir des relations sexuelles implique de traiter les femmes comme des objets, et que ces actions exploitent les autres. Les acheteurs actifs sont très susceptibles de dire qu'ils sont " juste des mecs qui sont des mecs " ou " qui prennent soin de leurs besoins ". Mais la recherche a également révélé que beaucoup d'hommes qui ont acheté des rapports sexuels dans le passé souhaitent arrêter. Environ un tiers des acheteurs actifs interrogés ont dit qu'ils ne voulaient pas recommencer.

Néanmoins, à part les proxénètes et les propriétaires de maisons closes, ce sont les acheteurs qui appuient le plus fortement la légalisation du commerce du sexe aux USA

Beaucoup d'acheteurs actifs pensent que les femmes "aiment l'acte de prostitution" et "le choisissent comme profession". Lors d'un récent voyage à Amsterdam, j'ai rencontré un jeune homme dans le quartier célèbre des bordels à vitrines qui m'a dit qu'il avait payé pour la première fois pour du sexe quand il avait 12 ans. « Mon père m'a emmené dans un bordel et m'a dit que j'allais apprendre à être un homme. C'est légal ici, donc il n'y a pas de problème. »

La prostitution est, en fait, pleine de dangers. Un examen des homicides de femmes prostituées de la rue a révélé qu'elles sont 60 à 100 fois plus susceptibles d'être assassinées que les autres femmes. Les clients et les proxénètes sont les principaux auteurs d'homicides et d'autres crimes violents envers les femmes prostituées - en 2017, entre 57 % et 100 % des homicides de femmes prostituées aux USA ont été commis par des clients.

Les recherches de Farley ont révélé que l'acceptation de la prostitution par les hommes contribue à encourager et à justifier la violence faite aux femmes ; les recherches de DA ont abouti à une conclusion similaire. Lorsque les hommes se sentent autorisés à louer l'intérieur du corps d'une femme pour un plaisir sexuel unilatéral en sachant qu'elle y consent à cause de l'argent, il n'est pas étonnant que ces hommes considèrent que les femmes sont soumises à eux - une attitude qui engendre le mépris.

« Les hommes paient pour les femmes parce qu'ils peuvent avoir ce qu'ils veulent et qui ils veulent. Beaucoup d'hommes vont chez les prostituées pour pouvoir leur faire des choses que les vraies femmes (sic) ne supporteraient pas », m'a dit un client. J'ai entendu d'innombrables hommes décrire l'acte de prostitution comme une masturbation sans effort.

Le rapport de DA se termine par des recommandations qui sont appuyées par les survivantes du commerce du sexe qui ont contribué à l'analyse des résultats. L'une consiste à diffuser des messages d'éducation publique qui remettent en question la normalisation de l'achat de services sexuels et à mettre l'accent sur les secteurs de l'éducation et de la santé publique pour faire connaître les réalités du commerce du sexe. Une autre mesure consiste à imposer des amendes minimales obligatoires aux clients condamnés, qui serviraient à payer les services de sortie pour les femmes, les programmes d'éducation destinés aux clients et les mesures contre les acheteurs de services sexuels.

La recherche pourrait faire une différence, en fournissant plus de preuves des méfaits de la prostitution et en aidant les personnes aux prises avec le débat polarisé sur la question de savoir s'il s'agit des " droits des travailleuses et travailleurs sexuels " et de l'" libre-arbitre des femmes " ou de l'exploitation sexuelle commerciale de personnes vulnérables et prostituées. Ce qu'il faut, à côté de ces recherches, c'est que chacun·e d'entre nous imagine un monde sans prostitution et se pose la question : « Pourquoi existe-t-elle ? » Dans un monde où les femmes et les filles seraient libérées de la suprématie masculine, où nous pourrions vivre comme des êtres humains égaux, la prostitution serait privée d'oxygène.

Julie Bindel 
Traduit par  Fausto Giudice


Merci à Tlaxcala
Source:https://www.truthdig.com/articles/the-real-face-of-prostitution/
Date de parution de l'article original: 12/06/2019
URL de cette page:http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=26260