L'AUTRE QUOTIDIEN

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On entend déjà les analystes de comptoir nous dire que les Gilets Jaunes sont les premiers responsables de la victoire du RN

Source Twitter

La gauche officielle ratatinée, les Gilets jaunes à un point-charnière, entre une lassitude prévisible et l’épuisement de la seule logique de rue, c'est le moment d'écouter ce que les autonomes ont à dire en ce lendemain d'élection. Ils sont la force la plus vive en ce moment, que tous les observateurs de la politique ont tort de limiter à l’action (ou non) d’un Black Bloc dans les manifestations. S’il y a encore une gauche (au sens très large) qui pense, c’est celle-là.

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Sans surprise, le Rassemblement National a remporté les élections européennes en France. Le parti d’extrême-droite obtient un score similaire à celui de 2014. Mais surtout, LAREM se voit infliger une nette défaite : alors que Macron s’était personnellement impliqué dans la campagne pour éviter que son parti ne soit devancé par celui de Marine Le Pen, il termine second à un peu plus de 22%. De toute évidence cette défaite du parti présidentiel est une conséquence du vaste mouvement de contestation qui ébranle le pays depuis six mois. Les Gilets Jaunes, après avoir bloqué le plan des réformes libérales prévues par le gouvernement, ont ruiné la victoire électorale que Macron attendait pour se relégitimer et relancer son quinquennat. Nul doute que certains d’entre eux ont d’ailleurs glissé dans l’urne un bulletin RN pour aggraver la défaite de la majorité macroniste. Mais il faut regarder le résultat en face : l’extrême-droite est de nouveau en tête. Ce score cristallise sans contestation possible le poids persistant des idées réactionnaires et leur ancrage au sein de la population. Il prouve aussi que La République En Marche, qui a fait campagne sur le thème du barrage contre l’extrême-droite, n’est absolument pas en capacité de représenter une opposition réelle à la dynamique fasciste, puisqu’elle en anticipe au contraire la plupart des contenus – du tournant autoritaire de l’État aux lois scélérates sur l’immigration en passant par la répression sauvage des mouvements sociaux.

On entend déjà les analystes de comptoir nous dire que les Gilets Jaunes sont les premiers responsables de la victoire du Rassemblement National, et que ce résultat démontre leur nature intrinsèquement droitière. Observons d'abord que le score du RN est à peu près le même (voire légèrement plus faible) qu'en 2014. Rappelons ensuite qu’en juin 1968 déjà, les élections législatives s’étaient soldées par un raz-de-marée conservateur, ponctuant plusieurs semaines de soulèvement insurrectionnel. La leçon est toujours valable aujourd’hui : le vote n’est jamais en mesure de refléter une dynamique révolutionnaire. Sa logique est même, par essence, exactement inverse – elle fige et atomise là où le mouvement de masse rassemble et transforme les subjectivités. Les Gilets Jaunes l’avaient d’ailleurs très bien compris, eux qui dans leur grande majorité ont refusé le piège d’une institutionnalisation et d’une inscription dans le jeu parlementaire - où le système souhaitait les entraîner. Ils ont compris que les transformations sociales ne s’obtiennent pas dans un isoloir, elles s’arrachent dans la rue, sur les ronds-points, à travers les occupations et le blocage de l’économie.

Il faut également observer l’état de décomposition avancé dans lequel se situe la gauche. Concurrence inter-partidaire stérile, déconnexion totale à l’égard du mouvement réel et de la révolte des Gilets Jaunes, vide stratégique : la catégorie de « gauche » est depuis longtemps moribonde, mais elle semble prise dans un processus de putréfaction qui n'en finit jamais, s’enfonçant encore un peu plus à chaque nouvelle échéance. La France Insoumise et le PS font jeu égal à hauteur de 6%. Seuls surnagent les Verts avec un score surprise de 12% qui fait écho aux récentes mobilisations de la jeunesse sur la question du climat.

Il apparaît en fait de plus en plus clair que la seule force d’opposition conséquente au binôme faussement antagonique du macronisme et du lepénisme, c’est le mouvement populaire, c’est la poursuite, la consolidation et le renforcement de l’antagonisme de masse qui se déploie depuis six mois, qui a arraché par le rapport de forces davantage que la gauche et les syndicats en plusieurs années et provoqué une déstabilisation inédite du pouvoir politique. Aujourd’hui ce mouvement se situe à un point charnière, au croisement d’une lassitude prévisible et de l’épuisement de la seule logique de rue. L’étape qui vient exige de diversifier nos pratiques, prendre l’initiative là où on ne l’attend pas, s’ancrer dans des lieux et des espaces, au niveau local, pour qu’un réseau matériel, visible et rejoignable, vienne soutenir la conflictualité hebdomadaire.

Acta, le 26 mai 2019