L'AUTRE QUOTIDIEN

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Comment le mythe de la liberté d'expression sur Facebook explose

Cette semaine, Mark Zuckerberg a prononcé un discours dans lequel il s’est vanté de "donner à chacun une voix" et lutter "pour défendre une définition aussi large que possible de la liberté d'expression". Ça a l'air génial, bien sûr ! La liberté d'expression est une pierre angulaire, sinon la seule, de la démocratie libérale. Qui voudrait s'y opposer ?


Le problème de Facebook est qu’elle n'offre aucune liberté d'expression, la plate-forme valorise en fait une amplification gratuite. Personne ne se soucierait de ce que vous avez posté sur Facebook, même si c'est faux ou haineux, si les gens devaient passer par votre page perso pour lire vos divagations, comme dans les tout premiers jours du site.

Seulement, ce que les gens voient en premier, c'est ce qui se trouve dans leur fil d'actualité... et son contenu, à son tour, n'est pas déterminé en donnant à tout le monde la même voix, et non plus en le publiant selon un calendrier chronologique strict. Ce que vous lisez sur Facebook est entièrement déterminé par son algorithme, qui élide et censure beaucoup, si jamais vous pensiez encore que votre fil d'actualité était libre - et amplifie peu.

Qu'est-ce qui est amplifié alors ? Deux formes de contenu priment. Pour le contenu natif, l'algorithme optimise l'engagement. Cela signifie que les gens passent plus de temps sur Facebook, et donc plus de temps en compagnie de cette autre forme de contenu qui est amplifiée : la publicité payante.

Bien sûr, ce n'est pas absolu. Comme Zuckerberg le faisait remarquer dans son discours, Facebook s'efforce d'empêcher les canulars et la désinformation médicale de devenir virales. Mais il a spécifiquement décidé que Facebook ne tenterait jamais d'empêcher que la désinformation politique payée ne devienne virale. Vice de forme ? 

Je suis personnellement opposé à cette décision, mais pense qu'il s'agit d'une question sur laquelle les gens censés peuvent être en désaccord. Cependant, je trouve profondément fallacieux de prétendre qu'il s'agit de défendre la liberté d'expression. Si quelqu'un essayait de placer une publicité politique manifestement fausse sur une plate-forme ou un réseau, est-ce que quelqu'un considérerait sérieusement la décision de ne pas diffuser cette publicité comme une atteinte à la liberté d'expression ? Bien sûr que non. Et ils ne devraient pas non plus prendre l'argument inverse au sérieux.

Le problème majeur, cependant, est que Facebook affirme que si un algorithme est sans parti-pris sur le contenu, il s’avère juste. Quand Zuckerberg parle de donner une voix aux gens, il sous entend par là donner une voix aux personnes sélectionnées par l'algorithme de Facebook. Quand il dit que "les gens qui ont le pouvoir de s'exprimer à leur niveau est un nouveau type de force dans le monde - un cinquième pouvoir", ce qu'il veut dire en fait est que l'algorithme de Facebook est lui-même ce cinquième pouvoir. Nuance. 

Son présupposé est que tout jugement humain fondé sur un contenu allant au-delà du minimum absolu exigé par la loi et sous-entendu par le contrat social - c'est-à-dire filtrer les discours haineux, les abus ou la désinformation médicale dangereuse, ce qu'il souligne dans son discours - est dangereux et erroné, et que cela vaut tant pour le contenu personnel que pour la publicité payante. Selon cette croyance, l'algorithme de Facebook, tant qu'il ne privilégie aucune croyance, est fondamentalement juste. On rêve !

Mais, cette croyance est notoirement bidon. Comme nous l'avons vu, "optimiser pour l'engagement" signifie généralement optimiser pour l'indignation, la polarisation et la désinformation malhonnête. Certes, cela ne signifie pas qu'il faille favoriser un point de vue plus qu’un autre ; mais cela entraîne selon ce raisonnement dingo qu'il faut favoriser les extrêmes, les théoriciens de la conspiration, les diatribes histrioniques de tous bords. Cela signifie fomenter la méfiance, la suspicion et les conflits partout. Nous l'avons tous vu et le vivons au quotidien.

La décision de Facebook d'accepter les publicités politiques « quel que soit leur contenu » est un prolongement logique de la façon dont leur algorithme optimise l'engagement. Cela témoigne de leur conviction que tant qu'ils ne portent pas de jugement fondé sur le contenu, leur révision continue et incessante de ce que les gens voient et ne voient pas - et s'il vous plaît appelez cela de la censure si vous pensez qu'il s'agit en quelque sorte de liberté d'expression - est donc juste et équitable. Cette croyance était défendable il y a dix ou même cinq ans. Elle ne l’est plus aujourd'hui.


Mais cela n’est en aucun destiné à changer. Le péché originel de Facebook n'est pas la publicité politique ; il s'agit seulement de pousser l'engagement de ses utilisateurs afin de leur servir plus de publicités (de toutes sortes.) C'est cela qui doit évoluer pour que Facebook devienne une force positive dans le monde... et c'est aussi ce qui ne changera jamais, car cet engagement-ci est le cœur de leur business model.

Joe Evans, pour Techcrunch.com, le 20/18/19 
Traduction L’Autre Quotidien