L'AUTRE QUOTIDIEN

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Nijni Novgorod, l’adieu aux palissades bleues

Une douzaine de villes russes accueilleront du 14 juin au 15 juillet les matches de la 21e coupe du monde de football : Moscou, la capitale, mais aussi Iekaterinbourg, Kaliningrad, Kazan, Nijni Novgorod, Rostov sur le Don, Saint-Pétersbourg, Samara, Saransk, Sotchi et Volgograd. Maxence Peniguet, dont nous avions déjà publié une série d'articles sur l'élection présidentielle russe de 2018, met à profit cet événement pour nous livrer des cartes postales de cette Russie des profondeurs. Aujourd'hui, première escale à Nijni Novgorod, l'un des vieux centres historiques de la Russie médiévale.

Je ne sais pas ce qu’il se passe avec les Ukrainiens. Avant, ils étaient comme nous… et nous étions comme eux.”

Les mots d’Olga - ma voisine cinquantenaire, militaire polyglotte et journaliste orthodoxe - ont flotté dans le compartiment du train toute la nuit. Je lui demandais pourquoi l’Ukraine cherchait à avoir sa propre église orthodoxe. Elle n’a pas su répondre.

Pour rejoindre Nijni Novgorod depuis Moscou (400 kilomètres), il y a le train rapide (le Sapsan) ou le train non rapide - normal, lent, en quelque sorte, et comme Olga je crois que prendre le temps des choses permet de les remettre en place - “Je vais jusqu’à Perm. J’arrive dans 24 heures, ça parait long, mais c’est une opportunité pour réfléchir à ce dont on n’a pas le temps de penser à la maison”, explique Olga.

Pour mes deux sacs à dos et moi, ça sera Nijni Novgorod. Puis Saransk, Kazan, Ekaterinbourg, Samara, Volgograd, Rostov et Sotchi. Ces villes, en accueillant la Coupe du monde de football 2018, sont un appel au voyage. Peu de chose de planifié. Seulement l’envie de parler aux gens et de parcourir quelques milliers de kilomètres. Parler de la Coupe de monde, mais surtout de la Russie.

Le soleil se lève tôt, nous n’avons pas fermé le rideau. Je me réveille à trois heures et des poussières, les plaines sortent de leur sommeil et l’astre s'adonne à quelques reflets dans les marais.

Les marais, au confluent de la Volga et de l'Oka, vue du train lors du voyage vers Nijni Novgorod.

Quatre heures trente, Nijni Novgorod. “Tu n’as pas un manteau plus adapté, tu risques d’avoir froid”, demande Olga, comme une mère. Il ne fait pas chaud pour la saison, c’est toutefois supportable pour me diriger vers le stade flambant neuf. Longer quelques rues désertes, se retrouver devant une masse imposante - la FIFA affiche une capacité de 45 000 personnes.

Le stade colossal construit pour la Coupe du monde de 2018.

Géographiquement, la situation est flamboyante : l'arène est accoudée à la Volga et d’une main peut caresser l’Oka, les deux cours d’eau emblématiques de la ville. Sur l’autre rive, la vieille ville de Nijni Novgorod, son Kremlin, ses escaliers Chkalov.

Si l’enceinte sportive a l’air prête pour la compétition - et sur-sécurisée -, la station de métro, elle, tire un peu du retard. Il ne faut pas s’y connaître pour se dire que quelque chose, ici, n’a pas fonctionné. La berge, elle aussi, pourrait bénéficier de quelques renforts. Le passage piéton qui permet de se rendre au Septième ciel (un centre commercial) aussi…

Les escaliers Chkalov, l'un des lieux emblématiques de la ville.

Impression : la Coupe du monde, c’est moins d’argent pour l’éducation et la santé

Vue du Kremlin -mur d'enceinte fortifié- de la vieille ville.

Le centre de Nijni Novgorod est divisé entre le haut et le bas. En bas, des restaurants, des bars et des cafés branchés (la rue Rozhdestvenskaïa). En haut, le Kremlin, les escaliers Chkalov et l’artère principale piétonne, la rue Pokrovskaïa. Dans le Kremlin, alors que je visite le Centre d’art contemporain (l’unique visiteur du moment), une jeune femme déambulant parmi les oeuvres de Yuri Sobolev s’arrête et me regarde, surprise, peut-être, de ma présence. Nous entamons la conversation. Tania travaille dans le milieu de la culture, en ce moment dans le musée et là, c’est sa pause.

La Coupe du monde, pour elle, c’est “moins d’argent pour les gens”. Le budget a bien dû venir de quelque part et c’est dans l’éducation et la santé qu’on est allé le chercher. Dans la culture, aussi. “Depuis l’année dernière, il y a moins de subventions”, observe Tania. Je continue ma visite. En face, la Maison des soviets fait pâle figure au milieu de cet ensemble architectural si bien conservé.  

La maison des Soviets.

Volontaires inaccessibles

Rue Rozhdestvenskaïa se trouve un bureau des volontaires qui aideront les supporters lors de leur venue en ville. Je me dis qu’ils sont sûrement jeunes et qu’en conséquence, ils auront des choses à dire. Mon arrivée fait sensation, les quatre filles du bureau vont chercher quelqu’un de plus gradé - un jeune homme. Mon désir de parler à des volontaires se fait rediriger vers la personne en charge des relations publiques de l’organisation mise en place par la l'administration pour la Coupe du monde. Rendez-vous le lendemain matin.

Aleksander Batouev reçoit dans le parc Sverdlov, décontracté. Alors, cette Coupe du monde, heureux ? Oui, très. Les matchs de test se sont bien passés, le nouveau terminal à l’aéroport est prêt, le camp de base de l’Uruguay aussi. Et il y a “une grande passion qui se dégage des gens”, estime Aleksander. Cette coupe, “ils l’attendent”. Et cette station de métro ? “Elle sera prête, à la fin du mois.”

Aleksander Batouev, chargé des relations publiques.

Et concernant la sécurité, le racisme ? “Nous n’avons pas de peurs particulières. Nous n’avons pas beaucoup d’ultras. Et nous menons des campagnes envers le public pour éviter les incidents.” Des campagnes qui se résument à faire appel au sens de l’hospitalité russe en utilisant des figures reconnues dans le milieu du sport.

Je lui parle ensuite de l’opinion de Tania, rencontrée au Centre d’art contemporain. “C’est simplement une impression, parce que la Coupe du monde bénéficie à tout le monde. La santé et l’éducation également - il a bien fallu que ces secteurs se préparent aussi.” Et Aleksander de balayer une autre critique émise par un élu local concernant l’omission d’une colonne au stade : “Ce n’est simplement pas vrai, il y a 88 colonnes triangulaires et 44 colonnes rondes.”

La ville est belle

Sur un chemin avec vue sur le Kremlin, Sasha noircit des pages de cet alphabet si beau et si difficile d’accès quand il est écrit en attaché. J’hésite à la déranger, mais elle en semble ravie. Nous discutons - elle trouve que la ville est plus belle grâce à la compétition. Mais tout même, elle essayera de s’absenter un peu pendant la Coupe - ne pas subir le bruit, les embouteillages et les supporters qui risquent d'abîmer “notre ville”. Elle me met en contact avec Julia, une amie qui travaillera au stade pendant les matchs.

Plus tard, d’autres personnes évoqueront le problème des embouteillages à Nijni Novgorod. En temps normal, ce n’est pas une mince affaire - et le métro ne dessert le centre-ville que par une unique station “alors que les travailleurs sont très nombreux le matin et le soir”. Avec l’arrivée de la Coupe du monde, ça sera pire. L’aménagement de la place Minine en Fan zone et la fermeture du pont Kanavinskii lors des matchs devraient solliciter la patience des voyageurs urbains.

Coucher de soleil, vue sur l'un des ponts de la ville.

Au-delà des transports, la lassitude des siniye zabory - des palissades bleues. Elles sont nombreuses, entourant les projets en (arrêt de) construction. L’explication est toujours la même : “Ils ont commencé avec l’argent, et d’argent ils manquent maintenant”. Alors les constructions sont gelées. Pour certains, l’argent prend simplement des vacances à Miami. Le Fond anticorruption de l’opposant Alexeï Navalny a ainsi découvert en 2016 que le maire de Nijni Novgorod, Ivan Karnilin, possédait deux appartements de luxe en Floride d’une valeur de deux millions de dollars.

Palissades permanentes

J’ai vingt ans et je ne me souviens pas de cet endroit sans les palissades bleues”, lance Julia, alors que nous profitons d’une vue sur le stade, la cathédrale Nevski et le lieu emblématique où se montrent les siniye zabory : les berges de l’Oka et de la Volga, du pont Kanavinskii jusqu’au-delà de la gare maritime. Elles cachent des travaux sans fin.

Julia, étudiante, chargée de la surveillance du stade lors de la coupe du monde.

Étudiante, Julia travaillera dans le stade lors des matchs. Sa mission, aider les supporters égarés, mais aussi sévir contre les actes hors limites. Le racisme, par exemple. “Si j’observe de tels comportements, je devrais intervenir et aller discuter avec les personnes en cause”, raconte-t-elle. Et s’il faut identifier individuellement les fautifs, rien de plus facile. Chaque place est attribuée de manière nominative et il est interdit d’en changer. Avec les centaines (voire milliers) de caméras et de nombreux points de contrôles, les foules seront sous surveillance.

La station de métro qui devrait être prête d'ici au 14 juin 2018.

Nous descendons dans la ville. En nous approchant des palissades, nous apercevons une ouverture. De manière non officielle, il semble qu’il soit permis de visiter l’aménagement des nouvelles berges. Nous n’hésitons pas et concluons alors que oui, pour la Coupe du monde, les palissades bleues ne seront plus qu’un souvenir.

Maxence Peniguet, 14 mai 2018

Le voyage de Maxence Peniguet se poursuit sur Instagram, Twitter et Flickr.