L'AUTRE QUOTIDIEN

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Beau comme une insurrection impure, par Luis Casado

Quelques bonimenteurs aux ordres font de joyeux comptes : la mobilisation des gilets jaunes diminue. Il s’agit de les fatiguer, de pourrir le mouvement : encore deux ou trois semaines et tout sera fini. Ils ne perçoivent pas que c'était et que c'est une graine semée dans un terreau fertile. Luis Casado expose quelques perspectives...

Une résurgence soixante-huitarde ? La phrase était inscrite sur un mur de Paris : "Beau comme une insurrection impure".

Après l’Acte V de samedi, les gros titres de dimanche étaient unanimes : « Gilets jaunes : faible mobilisation ». La télévision, la presse, la radio et le gouvernement sont satisfaits. C'est ce qu'ils ont prêché pendant la semaine, avec une unanimité suspecte. Mais....

Rien n'est réglé. L'image du gouvernement et celle de Macron sont mises à bas. La mobilisation s'est déplacée vers des grandes villes comme Bordeaux, Toulouse, Marseille et Lyon. Des milliers de gilets jaunes - les irréductibles Gaulois - occupent encore des centaines de ronds-points et carrefours giratoires. Il est impossible de persévérer dans le programme de réformes visant à faire de la France une réplique du tiers monde. Les "Gaulois réfractaires au changement" (Macron) ont repoussé celui qui se vantait jusqu'à récemment d'être le leader de l'Europe. Le quinquennat de Jupiter a duré 18 mois.

Rien n'est réglé. Interrogée par une journaliste, une mère déclare qu'elle est prête à poursuivre la lutte. La raison en est simple : "Tant qu’on est ici... en existe". Cette phrase résume en quatre mots la prise de conscience accélérée des misérables. Unis, ils représentent une force formidable. Pendant 40 ans, ils ont enduré en silence la dégradation de leurs conditions de vie. Aucune caméra n'a filmé l'invisible, aucun microphone ne s’est tendu vers les sans-voix. Et voilà que le monde entier les voit et les entend. Les maires, les députés, les sénateurs, les ministres et même son excellence, le Président de la République, admettent que les inégalités ont dépassé les bornes

Rien n'est réglé. Les gilets jaunes connaissent l'histoire de leur pays. L'un d'eux a imité le discours de Macron en paraphrasant Charles de Gaulle à Alger le 4 juin 1958. Le grand Charles est allé écraser le putsch d'"un quarteron de généraux en retraite", et préparer l'indépendance de l'Algérie. Conscient de la réaction que ce changement radical de politique pouvait susciter chez les colons, il commença son discours devant la foule rassemblée sur le Forum par une phrase sibylline : « Je vous ai compris ! ». Les colons ont compris exactement le contraire de ce que de Gaulle avait déjà décidé : mettre fin à la guerre et dégager de l'Algérie. La phrase qui imite le discours de Macron est un jeu de mots : "Je vous hais compris !" Ça se prononce pareil. Aucun gilet jaune n'a jamais cru un mot de ce que Macron a dit.

Rien n'est réglé. Les miettes offertes par Macron l'empêchent de se conformer aux ordres de Bruxelles en matière de déficit public. Le mouvement des gilets jaunes – ose un économiste - fera perdre 0,5% du PIB à la France. Notez la précision du calcul... Les syndicats et les patrons s'opposent à l'exonération fiscale des heures supplémentaires. La mise en œuvre du paiement des 100 euros promis s'avère plus compliquée que prévu. Les banques et les patrons font tout pour éviter toute contribution de leur part. L'Impôt sur la fortune continue à hanter Macron, "président des riches".

Rien n'est réglé. Sur le plan politique, les revendications se sont cristallisées autour du RIC, le Référendum d'initiative citoyenne. Les misérables n'arrêtent pas de vouloir se mêler de leurs affaires. Ils exigent la création du RIC dans trois domaines : a) modification de la Constitution, b) abrogation des lois, c) destitution des autorités élues qui ne tiennent pas leurs promesses.

Rien n'est réglé : la population rurale, quelque 22 millions de citoyens, a entamé un processus d'écriture de Cahiers des Doléances, comme l'ont fait les manants sous la monarchie. Ces cahiers rassemblent une masse de demandes qui sont le reflet, augmenté, de ce que les gilets jaunes exigent. Des milliers de maires ne peuvent que les transmettre à l'Elysée.

Face à tout cela, les gémissements douloureux des économistes, pleurant sur le "déclin du chiffre d'affaires des commerçants", apparaissent comme ce qu'ils sont : des jérémiades. En mai 1968, un étudiant prévoyant avait déjà répondu en inscrivant sur un mur : « On ne tombe pas amoureux d'un taux de croissance ». Pendant ce temps, un gilet jaune à un rond-point brandissait une pancarte portant un message de mauvais augure : "Macron, nous allons vous enlever votre Légion d'honneur".

La question qui a ouvert les JT sur les différentes chaînes de télévision en ce dimanche de décembre froid et humide était la même : « Le mouvement des gilets jaunes est-il fini ? »

Non. Et il est toujours aussi beau qu'une insurrection impure...

Luis Casado 
Traduit par  Fausto Giudice


Merci à Tlaxcala
Source: 
http://tlaxcala-int.org/article.asp?reference=24950
Date de parution de l'article original: 16/12/2018
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