L'AUTRE QUOTIDIEN

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Néonicotinoïdes : le gouvernement va-t-il enterrer (discrètement) le principe de précaution ?

Au-delà de la seule interdiction des nicotinoïdes, ces insecticides tueurs d’abeilles, c’est l’application du principe de précaution, contesté par les milieux économiques et politiques, qui est en ligne de mire. Du moins si le gouvernement tranche en faveur de l’interdiction d’aller au-delà de la législation européenne, dans un débat qui n’est pas que technique.

C’était le 9 février 2017, en pleine campagne électorale. Interrogé par le WWF, organisation mondiale de protection de la nature, Emmanuel Macron se prononçait sur le maintien de l’interdiction des néonicotinoïdes, ces pesticides tueurs d’abeille, prévue en 2018, des dérogations restant possibles jusqu’en 2020. Pourtant, selon un document de travail interministériel que s’est procuré RMC, le gouvernement envisagerait d’assouplir la législation française en matière d’épandage aérien et d’utilisation des néonicotinoïdes, deux domaines dans lesquelles la France va plus loin que l’Union européenne.

Interdiction en France, moratoire en Europe

La France a en effet voté l’interdiction de cette famille de pesticides en juin 2016, dans le cadre de la loi sur la biodiversité, tandis que l’Europe se contente d’un moratoire partiel depuis 2013. Malgré ce moratoire concernant trois molécules sur près de dix, l’usage des néonicotinoïdes avait progressé, en France, entre 2013 et 2014, passant de 387 à 508 tonnes. Ces produits sont parmi les insecticides les plus utilisés au monde. Pourtant, plusieurs études ont mis en évidence la toxicité qu’ils présentent pour le système nerveux des insectes pollinisateurs. Ils seraient également dangereux pour la santé humaine. Selon l’agence européenne de sécurité alimentaire, certains présenteraient un risque pour le développement du cerveau chez l’enfant.

Une pétition lancée par la Fondation Hulot

En France, c’est une pétition signée par plus de 600 000 personnes qui avait poussé Ségolène Royal à introduire l’interdiction de ces produits phytosanitaires dans son projet de loi. Une pétition initiée à l’époque par plusieurs associations, dont la Fondation Nicolas Hulot, aujourd’hui ministre de la transition écologique et solidaire. « Chez Nicolas Hulot, on dit que c’est tranché, qu’on ne reviendra pas là-dessus », expliquait ce matin Laurent Neumann, éditorialiste chez RMC. Pourtant, lors d’une interview accordée ce lundi à RMC par Stéphane Travert, ministre de l’agriculture et de l’alimentation du gouvernement Philippe 2, celui-ci a défendu un assouplissement du droit français sur ces produits, insistant sur les « impasses techniques », qui rendraient leur utilisation indispensable. Pourtant, des alternatives existent mais elles supposent une remise en cause de certaines pratiques de l’agriculture intensive, notamment la monoculture. Stéphane Travert a aussi reconnu qu’un nouveau texte était en préparation pour aligner le droit français sur le droit européen. Quels seront les arbitrages rendus par le premier ministre et jusqu’où Nicolas Hulot est-il prêt à aller pour ne pas manger son chapeau ?

Interdiction d’aller au-delà des normes européennes ?

Le document récupéré par RMC, qui est la trame d’un avant-projet de loi, fixe un principe qui serait inclus dans le projet de loi de simplification : arrêter de « surtransposer » les directives européennes dans le droit français pour ne pas nuire à la compétitivité des entreprises françaises. L’assouplissement envisagé en matière d’épandage aérien et d’utilisation des néonicotinoïdes n’est donc que la conséquence d’un principe qui interdirait à la France d’aller plus loin que l’Europe en matière de précaution sanitaire et environnementale. Sous son aspect technique, cette disposition se révèle totalement contradictoire avec le principe de précaution, inscrit dans notre constitution depuis 2005, via la charte de l’environnement et son article 5. Il figure aussi dans le droit européen (traité de Maastricht) et dans le droit international (Déclaration de Rio sur l’environnement). Grosso modo, celui-ci a pour but de prévenir les risques inconnus ou incertains en cas d’incertitude scientifique. Accusé de freiner l’innovation et le progrès scientifique, il fait depuis longtemps l’objet de violentes attaques des milieux politiques et économiques. En droit, il a surtout permis de s’opposer à l’implantation d’antennes-relais. En 2008, la commission Attali pour la libération de la croissance française recommandait de supprimer l’article 5 de la charte de l’environnement ou d’en « préciser très strictement la portée ».

Les intérêts des agriculteurs incarnés par la FNSEA

De ce fait, la volonté de ne pas aller au-delà des normes européennes entre dans de nombreux domaines en conflit frontal avec la défense de l’environnement. C’est ce que déclarait clairement Nicolas Sarkozy en mai 2016, qui appelait à la fin de « la surtransposition des normes européennes (…) devenue une spécialité française », avant de demander qu’on remplace le principe de précaution par un « principe de responsabilité ». Un principe de responsabilité qui permettrait de ne pas léser les intérêts de l’agriculture française, telle qu’elle est incarnée par la FNSEA. L’éditorialiste Christophe Barbier rappelait d’ailleurs ce matin avec un brin de cynisme : « Les abeilles, c’est sacré, mais les agriculteurs, ça vote ». On ne saurait mieux résumer l’enjeu de l’arbitrage que devra rendre le premier ministre concernant ce point. Qui va donc bien au-delà de la seule interdiction des nicotinoïdes.

Véronique Valentino