Le contrôle au faciès va devenir la norme

C'est aujourd'hui que l'assemblée nationale doit se prononcer définitivement sur le projet de loi antiterroriste. Sur un fond émotionnel très lourd, les députés devraient entériner une loi qui va généraliser le contrôle au faciès. Une mauvaise nouvelle, y compris en matière de sécurité, si on considère que celle-ci est d'abord liée à la cohésion nationale.

Au lendemain de la mort de deux très jeunes femmes à Marseille, le débat fait rage dans l'hémicycle à propos de la « Loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ». Un débat devenu caricatural entre le groupe La République en marche, majoritaire, qui a fait sauter les quelques verrous introduits dans le texte par le Sénat et une droite qui trouve le texte trop laxiste. Exit donc, la limitation dans le temps -jusqu'à 2021- des mesures de surveillance individuelles et les perquisitions, renommées "visites domiciliaires". Exit aussi l'évaluation annuelle de l'efficacité de ces mesures ou encore la limitation des périmètres de sécurité dans lesquels les forces de l'ordre peuvent procéder à des fouilles et palpations. Toutes ces mesures ont été réintroduites telles qu'elles figuraient dans le texte initial.

Les deux tiers de la population passibles de contrôles frontaliers

Mais la mesure la plus décriée est sans aucun doute celle qui concerne l'extension des contrôles frontaliers. Ils pourront désormais être effectués aux abords des 373 gares, aéroports et ports français, et dans un rayyon de 20 kilomètres autour des 118 points de contrôle frontalier. Selon les calculs effectués par Le Monde, en croisant avec la base de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) les données compilées par la Cimade – une des principales associations d’aide aux étrangers –, près d'un tiers du territoire et les deux tiers de la population métropolitaine pourront se retrouver englobés dans cette nouvelle définition des « zones frontalières » (voir la carte de la Cimade).

Origine étrangère supposée


Encore plus choquant, l'article 10 de la loi prévoit que ces contrôles pourront cibler « les personnes dont la nationalité étrangère peut être déduite d'éléments objectifs extérieurs ». Autrement dit, la police pourra contrôler sur la seule base de l'apparence physique et sans que la justice n'y trouve à redire. C'est un recul considérable de la législation en matière de contrôles au faciès. En effet, la Cour de cassation avait condamné l'Etat, en novembre 2016, pour faute lourde en novembre 2016 suite à une plainte déposée en 2013 par treize hommes d'origine africaine et maghrébine qui dénonçaient des contrôles abusifs, accompagnés parfois de palpations, d'insultes et de tutoiements. Elle avait estimé « qu'un contrôle d'identité fondé sur des caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable, est discriminatoire : il s’agit d’une faute lourde qui engage la responsabilité de l'Etat ». Une avancée que la loi antiterroriste réduit à néant.

Un projet de loi qui rappelle le Code de l'indigénat

Au point que l'historien Patrick Weil publiait la semaine dernière une tribune parue dans le Monde, dans laquelle il écrit que  « des millions de Français, résidant notamment dans les zones urbaines », seront soumis à  « un traitement qui n'a qu'un précédent dans notre histoire : le Code de l'indigénat ». L'historien rappelle que le  « pouvoir donné à l’autorité administrative, plutôt qu’au juge, de porter atteinte à des libertés fondamentales est déjà en lui-même une rupture inquiétante et inédite avec l’Etat de droit ». Il faut aussi rappeler que cette institutionnalisation du contrôle au faciès se fait au nom de la lutte contre l'immigration illégale. Qui se voit justifiée par un texte portant sur la lutte contre le terrorisme. Ce serait déjà suffisamment odieux en soi, si le débat qui s'est ouvert n'était pas totalement confisqué par une logique sécuritaire que les plus durs justifient par le contexte que l'on sait. Encore faudrait-il rappeler qu'il n'y a pas d'arme antiterroriste absolue et que, depuis 2012, près d'une dizaine de lois renforçant l'arsenal antitrerroriste ont été votées. Il y avait déjà eu 62 lois sécuritaires entre 2002 et 2012. Mais pour quels résultats si ce n'est le singulier rétrécissement de l'Etat de droit et l'entrée dans une ère du soupçon généralisé ?

Véronique Valentino