Short-cuts 48, par Nina Rendulic

semaine du 19 / 12 / 16

"As-tu remarqué que je te fais don de moi en pièces et en morceaux ?"

(M. T. à B. P., 26.5.1926.) 


Printemps 1926. Rainer Maria Rilke se meurt d’une leucémie en Suisse. Boris Pasternak est déprimé. Il n’arrive plus à créer. Marina Tsvetaïeva écrit des poèmes et traduit Pouchkine à Paris. Le temps d’un été ils mèneront un trilogue fiévreux et sublime. Une cinquantaine de lettres *. De l’exil. Du désir. De l’écriture. Puis, tout repartira…

"Ecrire : communiquer en envoyant des paroles écrites"

Je ne peux pas faire autrement. Je ne peux pas n’écrire à personne.

Si je ne t’écris pas je n’écris plus. Toi, tu n’es personne et tu es le monde entier. Tu es qui je veux que tu sois. Tu es les mots. Tous mes mots. Les questions et les réponses. Tu es la possibilité. L’épuisement. La fente parmi les arbres dans la forêt que survolent les cygnes en hiver. Parfois tu es ailleurs. Alors je tremble devant les signes rebelles. Je leur fais violence je me fais violence car associer les signes les mots les phrases c’est violent et l’écriture est un carnage un massacre solitaire où s’éteignent les émotions superficielles et bat le cœur des abats de mots rejetés dans les silences impossibles.

Est-ce que cela te fait peur ?

Est-ce que cela te fait peur ?

"Coupure : retranchement que l’on fait dans une composition littéraire"

Il paraît qu’il est temps de faire des listes. Des bilans. Un inventaire. Afin de chasser l’oubli des centaines de jours sans importance… des émotions refoulées… de tous les mots non-dits et des regards lumineux… A Zagreb j’ai marché le long des rails de tramway dans la nuit des rues désertes et le paysage se renouvelait : soupirs, éclats de verre, acier inoxydable. J’ai vu des vieillards aux mains éraflées par le vent du nord à fouiller dans les poubelles. J’ai aimé ma Nana devant un miroir se mettant du rouge à lèvres rose avec sa main tremblante. Des milliers de guirlandes lumineuses sans aucun leitmotiv. De l’huile à friture. Un chat mort. La religion catholique. De l’auto-subversion. Echapper à cette intangible volonté de repousser l’oubli.

* "Correspondance à trois", chez Gallimard

Nina Rendulic


Nina Rendulic est née à Zagreb en 1985. Aujourd'hui elle habite à 100 km au sud-ouest de Paris. Elle aime les chats et la photographie argentique. Elle vient tout juste de terminer une thèse en linguistique française sur le discours direct et indirect, le monologue intérieur et la "mise en scène de la vie quotidienne" dans les rencontres amicales et les dîners en famille. Vous pouvez la retrouver sur son site : ... & je me dis

Nina Rendulic

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